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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Slumdog Millionaire
de Danny Boyle
Grande-Bretagne, 2008, 1h57


L'analyse proposée ici s'adresse à des animateurs qui verront le film Slumdog Millionaire avec un large public et qui souhaitent approfondir avec les spectateurs la réflexion esthétique sur ce film. Cette analyse pourra être menée sous forme de débat avec des groupes de spectateurs : si l'objectif est bien de faire progresser la réflexion des uns et des autres à ce propos, on veillera cependant à laisser aux participants une part active et une nécessaire liberté dans l'interprétation du travail de mise en scène du cinéaste.

Le film

Slumdog Millionaire du réalisateur britannique Danny Boyle raconte l'histoire d'un jeune orphelin des bidonvilles de Mumbai (anciennement Bombay) qui parvient à la dernière étape du jeu télévisuel «Qui veut devenir millionnaire?» (variante indienne du jeu «Qui veut gagner des millions?»), lui permettant de remporter la somme colossale de 20 millions de roupies. Comment un jeune homme aussi défavorisé a-t-il pu réussir un tel exploit? Et va-t-il parvenir à gagner la dernière épreuve? Le doute s'installe, et la police soupçonne une tricherie... Pour le réalisateur, ce jeu télévisé n'est pourtant qu'un prétexte pour explorer, à travers une série incessante de retours en arrière, le passé de ce personnage issu du plus pauvre des bidonvilles et en passe d'atteindre les sommets de la gloire et de la richesse. C'est également l'occasion de décrire une société indienne en mutation mais également en proie à de profondes divisions internes.

Cet aspect réaliste, sinon misérabiliste, ne doit pas masquer cependant la dimension de conte ou de fable du film de Danny Boyle qui peut faire penser notamment aux grands romans de Dickens par son mélange de pauvreté extrême et de réussite spectaculaire. Mais c'est sans doute plus vers la production de «Bollywood» (le Hollywood local) que penche en fait Slumdog Millionaire. Comme on le sait sans doute, le cinéma populaire est une industrie très florissante en Inde, et le nombre de ses productions est aussi important que celui des Etats-Unis. Même s'il ne faut pas gommer la diversité de ces productions, il s'agit en général de films musicaux avec des morceaux chantés et dansés sur des scénarios volontiers mélodramatiques ponctués de spectaculaires revers de fortune et mettant en scène des héroïnes touchantes. S'inspirant plus ou moins directement de ces productions colorées, Slumdog Millionaire présente cependant une construction narrative complexe, tout en privilégiant un rythme soutenu et visuellement percutant. Pour toutes ces raisons, le film peut donc séduire un large public.

Il a paru intéressant ici de se pencher sur le travail de mise en scène du réalisateur Danny Boyle, qui est très visible dans le film et qui peut donc être facilement observé par les spectateurs même non-spécialistes. Il ne s'agira cependant pas de déclarer que ce travail est en tout point remarquable, et on laissera à chacun une liberté d'appréciation en la matière.

Le travail de mise en scène de Slumdog Millionaire

La plupart des spectateurs, même peu avertis, seront sans doute sensibles à la mise en scène spectaculaire de Danny Boyle dans Slumdog Millionaire. Mais au-delà de cette impression générale, il est sans doute difficile d'analyser de façon plus précise les différents aspects de cette mise en scène sans voir ou revoir le film sur grand écran ou sur plus petit avec des instruments comme le DVD ou d'autres outils informatiques. Par ailleurs, une telle analyse faite avec des spectateurs qui, pour la plupart, ne sont pas des spécialistes du cinéma, risque de se révéler fort technique et pédagogiquement peu pertinente. C'est pour cela que l'on a préféré proposer dans ce dossier une méthode basée sur des consignes individuelles d'observation à distribuer aux participants avant la projection (voir l'encadré ci-dessous).

Avant la projection: 12 consignes d'observation

  1. Dans le film Slumdog Millionaire, on remarque beaucoup de cadrages inhabituels, par exemple des cadrages obliques (la caméra n'est pas posée horizontalement et les lignes verticales apparaissent penchées ou en diagonale), des plongées ou des contre-plongées (la caméra filme d'en haut ou au contraire d'en bas). Pourriez-vous repérer lors de la projection quelques-uns de ces cadrages remarquables?
  2. Le réalisateur de Slumdog Millionaire, Danny Boyle, joue à plusieurs reprises dans le même plan sur la distance entre l'avant-plan et l'arrière-plan. Il met par exemple en avant-plan des choses secondaires, ou, au contraire, il attire notre attention sur des choses ou des éléments laissés à l'arrière-plan. Essayez de noter l'un ou l'autre de ces plans où il y a un tel jeu sur les relations entre l'avant et l'arrière-plan, ce qu'on appelle la profondeur de champ.
  3. Dans Slumdog Millionaire, il y a beaucoup de musiques d'accompagnement (c'est-à-dire des musiques qu'entendent les spectateurs mais que les personnages sont censés ne pas entendre): pourriez-vous y être attentif et essayer de comprendre quel est leur rôle (dynamiser l'action, souligner l'émotion, accentuer les impressions ressenties)?
  4. Il y a dans Slumdog Millionaire ce qu'on appelle des musiques «in»: c'est une musique qui appartient à l'histoire mise en scène et qui est donc entendue par les personnages et par les spectateurs. Une telle musique n'apparaît qu'à deux ou trois endroits du film. Essayez d'en repérer au moins une. Un indice pour vous aider à en trouver une, très remarquable: pour un francophone, c'est un chant immédiatement compréhensible.
  5. Savez-vous ce qu'est un «insert» au cinéma? Il s'agit d'une image isolée qui est insérée de façon marquante dans une séquence: par exemple, lors d'une discussion entre personnages, un gros plan nous montre un objet que l'un d'eux tient à la main. L'insert peut également représenter quelque chose qui n'a apparemment rien à voir avec l'action en cours, et par exemple illustrer les pensées cachées ou un souvenir d'un personnage. Dans Slumdog Millionaire, ce procédé est utilisé à plusieurs reprises. Essayez de repérer l'un ou l'autre de ces inserts au cours de la projection.
  6. Dans Slumdog Millionaire, plusieurs scènes sont caractérisées par une couleur inhabituelle, par une ambiance ou une lumière particulières (pluie, nuit, soleil couchant…). Pourriez-vous vous souvenir de l'une ou l'autre de ces scènes?
  7. Il y a quelques moments humoristiques dans Slumdog Millionaire. Essayez de les repérer.
  8. Le film Slumdog Millionaire se caractérise par la reprise à plusieurs moments du film des mêmes images ou d'événements similaires avec de légères différences. Pourriez-vous-être attentif à ces reprises?
  9. Les trois principaux personnages de Slumdog Millionaire grandissent en trois grandes étapes: on les voit d'abord enfants à 7 ans, puis jeunes adolescents à 13 ans, et enfin jeunes adultes à 18 ans, ce qui impliquait que le cinéaste fasse appel à trois acteurs d'âges différents pour jouer le même personnage. Pourriez-vous noter à quels moments précis dans le film s'opèrent ces deux passages d'un âge à l'autre?
  10. Savez-vous ce qu'est le montage au cinéma? Le montage est la manière dont on assemble les différents morceaux d'un film, qu'il s'agisse de deux plans successifs ou de séquences entières. Souvent le montage passe inaperçu, et les épisodes se suivent rapidement sans qu'on y prenne garde; mais il arrive à certains moments que le montage nous étonne, nous surprenne parce qu'il rapproche brutalement des événements inattendus ou contrastés. De tels moments sont très brefs et facilement oubliés: soyez donc attentif pour repérer l'un ou l'autre effet remarquable du montage dans Slumdog Millionaire.
  11. Dans Slumdog Millionaire, il y a un animateur de jeu télévisuel: son attitude cependant n'est pas vraiment neutre. Pourriez-vous repérer des indices qui prouvent ce manque de neutralité?
  12. Comme tous les films, Slumdog Millionaire raconte une histoire avec des personnages. Mais les décors ont également de l'importance. Pourriez-vous repérer certains de ces décors qui vous paraissent remarquables, inhabituels, curieux, inquiétants ou au contraire attirants?

Après la projection, l'animateur pourra reprendre une à une ces consignes et demander aux spectateurs concernés ce que cette consigne leur a permis de remarquer. Ces observations seront éventuellement complétées par celles d'autres participants.

Le rôle de l'animateur sera également d'inciter les participants à interpréter ces caractéristiques filmiques: si l'on a remarqué par exemple un gros plan ou une contre-plongée, pourquoi le cinéaste a-t-il choisi d'opérer à ce moment un tel cadrage? a-t-il essayé de traduire ou d'exprimer quelque chose? a-t-il voulu produire un effet spécifique sur le spectateur? a-t-il voulu attirer son attention sur quelque chose? Pour faciliter ce travail d'interprétation, on peut utiliser trois grandes questions directrices. Pour chaque trait de la mise en scène, on peut ainsi se demander:

  • Comment ce trait se combine-t-il avec la scène représentée? Qu'est-ce qu'il ajoute au sens de la séquence? Qu'est-ce qu'il modifie éventuellement au sens de cette séquence?
  • Quelle était l'intention du réalisateur en choisissant cette forme de mise en scène? Quel effet ont-ils voulu produire en opérant un tel choix?
  • Quels effets ce trait produit-il sur les spectateurs? Est-ce que les effets auraient été différents si les choix de mise en scène avaient été différents?

On remarquera cependant qu'il n'y a pas de règles pour une telle interprétation ni de codes spécifiquement cinématographiques qui permettraient de valider (ou d'invalider) l'une ou l'autre interprétation: ce sont des savoirs communs (psychologiques, sociaux, sensibilité esthétique, inférences logiques ou semi-logiques…) ou le simple bon sens qui vont nous permettre de dire par exemple que tel gros plan intensifie l'émotion ressentie ou qu'un montage avec des plans brefs dynamise le film.

Pour faciliter le travail de de l'animateur, celui-ci trouvera cependant ci-dessous une série de réflexions qui lui permettront d'orienter la discussion et de suggérer des interprétations plus ou moins élaborées sur différentes caractéristiques de la mise en scène de Slumdog Millionaire. (Chaque encadré apporte des éléments de réponse aux consignes d'observation données ci-dessus.)

1. Cadrages

On remarque énormément de cadrages obliques dans le film de Danny Boyle, au point qu'il est rapidement impossible de se souvenir de tous. Beaucoup de ces cadrages ne paraissent pas en outre fortement motivés. Ainsi, lors de la première rencontre des deux garçons avec Latika, la petite fille est vue accroupie sous la pluie avec l'horizontale du sol penchant manifestement à droite: est-ce pour signifier que Jamal qui la regarde est à moitié couché? Peut-être, mais la fréquence de tels plans en fait plutôt une caractéristique d'un style qu'affectionne semble-t-il Danny Boyle. Il s'agit de façon générale de surprendre le spectateur par des points de vue inattendus et de dynamiser le récit.

Cette stratégie générale est particulièrement claire dans la séquence de poursuite policière dans le bidonville où la caméra prend les points de vue les plus inattendus: ainsi, elle filme les enfants qui s'enfuient du dessus, puis au ras du sol, puis de face en contre-plongée, etc. S'il est impossible de se souvenir des différents points de vue adoptés, leur diversité est néanmoins remarquable et reste en mémoire. En outre, un de ces plans est suffisamment inhabituel pour être retenu par la plupart des spectateurs: vers la fin de la poursuite, la caméra plonge verticalement sur les enfants en fuite au cœur du bidonville; au plan suivant, la caméra s'est éloignée (au lieu de se rapprocher pour mieux voir l'action en cours comme on s'y attendrait) et montre vue du ciel une grande partie du bidonville; le plan suivant s'éloigne encore et montre l'immensité du bidonville.

Ainsi, de façon générale, Danny Boyle privilégie des cadrages inhabituels, qu'il s'agisse de cadrages obliques, de plongées ou contre-plongées, de vues au ras du sol (comme celles des chaussures volées au Taj Mahal) ou de l'image de Jamal tête en bas alors qu'il est aux toilettes, ne sachant pas quoi répondre à la question sur le cricket. Combinée en général avec des plans fort brefs, cette manière de faire contribue certainement à la dynamique générale du récit.

 

2. Profondeur de champ

Le procédé est très visible au début du film lors de la course-poursuite dans le bidonville: la caméra est fixée sur des personnages à l'avant-plan qui attirent le regard du spectateur alors que les jeunes garçons en fuite ou les policiers apparaissent à l'arrière-plan. On voit par exemple une femme laver du linge à l'avant-plan quand apparaissent au fond les enfants; ou bien un chien somnole et occupe une grande partie de l'écran alors que les enfants minuscules passent sur la droite; ou encore un barbier rase son client alors que par la fenêtre on devine dans le flou les enfants puis le policier qui les pourchasse. Le procédé vise sans doute à révéler au spectateur tout le contexte du bidonville où vivent les enfants et où ils sont bien intégrés (puisqu'un certain nombre d'habitants vont couvrir les policiers d'ordures à partir des toits).

Un autre exemple de travail sur la profondeur de champ apparaît dans la séquence où le petit Jamal plonge dans une fosse septique pour obtenir malgré tout un autographe: on voit alors bien nette à l'avant-plan la foule qui se presse autour de la star alors que l'on devine dans le lointain le petit Jamal en train de courir. On se souvient également de la petite Latika sous la pluie à l'arrière-plan alors que les deux frères à l'avant-plan discutent de son sort. Dans ces deux cas, l'image rapproche des choses éloignées, dans le premier de façon comique, dans le second de façon plus dramatique ou pitoyable.

Un dernier exemple dont se souviendront sans doute beaucoup de spectateurs est celui de la visite de Jamal chez Latika devenue l'épouse d'un gangster: celui-ci rentre à l'improviste et il se dresse dans la cuisine à l'avant-plan face aux deux jeunes gens à l'arrière comme s'ils étaient pris sur le fait. Un peu plus tard, il se fera servir un sandwich dans une pièce adjacente qui sera vue à l'arrière-plan tandis que Jamal et Latika discutent ensemble à voix basse à l'avant-plan. La profondeur de champ rend ici palpable la tension entre les personnages et surtout la menace que représente le gangster.


 

3. Musiques d'accompagnement

La musique joue un rôle essentiel pour dynamiser un grand nombre de séquences du film. Il y a par exemple au début du film, lors de la course-poursuite entre les gamins du bidonville et les policiers, une musique trépidante qui rythme toute la séquence jusqu'à ce que les deux enfants se réfugient dans les jupes de leur mère. C'est le même style de musique mais beaucoup plus inquiétante que l'on entendra au cours de l'émeute anti-musulmane dans le bidonville après que la mère de Jamal aura été tuée.

C'est encore le même genre de musique très rythmée (mais sans tambours) qui sera utilisée lors de la fuite des trois enfants poursuivis par les malfaiteurs exploitant des petits mendiants: cette musique trépidante s'arrêtera précisément au moment où Salim lâchera la main de Latika. Dans ces exemples, la musique vise essentiellement à accentuer le caractère dramatique de la séquence tout en soutenant son rythme qui pourrait sans cela devenir lassant.

Dans des séquences moins dramatiques, la musique permet d'une certaine manière de «faire passer» le temps en liant des événements discontinus: lors du voyage en train qui semble durer plusieurs jours (au moins), on entend une chanson d'inspiration indienne (ou du moins pour nos oreilles occidentales) beaucoup plus légère. Lors de leur retour à Bombay plusieurs années plus tard, ce sera une musique beaucoup plus mélancolique, avec des vocalises lancinantes, qui accompagnera la déambulation de Jamal dans les paysages profondément bouleversés de Mumbai.

On retrouvera le même genre d'utilisation des musiques dans le reste du film avec des musiques rythmées qui accentuent la tension lors des séquences avec les gangsters ou des musiques beaucoup plus romantiques (avec des instruments à cordes plus légers) lors des retrouvailles de Jamal et Latika à la gare.

Enfin, l'on n'oubliera pas la musique qui accompagne de façon mondiale le jeu «Qui veut gagner des millions?» et qui par ses roulements de tambour dramatise de nombreuses séquences. Et l'on se souviendra facilement de la musique entraînante qui accompagne la dernière séquence du film, de pure comédie musicale.


 

4. Une musique «in»

Il y a quelques musiques «in» comme quand Latika, jeune fille danse pour un client au bordel, ou celle lancinante du jeu «Qui veut gagner des millions?» (qui passe cependant constamment du statut de«in» à celui de musique d'accompagnement, sans qu'on puisse vraiment faire précisément le partage). Mais on retiendra plutôt l'épisode du Taj Mahal, au cours duquel les deux enfants devenus voleurs assistent par hasard à la représentation d'un opéra dont un auditeur francophone peut facilement comprendre les paroles: «Eurydice, Eurydice! Mortel silence! Vaine espérance! Quelle souffrance! Quel tourment déchire mon cœur!» Il s'agit d'Orphée et Eurydice, une tragédie-opéra en trois actes de Christoph Willibald Gluck (pour la musique) sur un livret en français de Pierre-Louis Moline, qui a été représentée pour la première fois à Paris en 1774. Orphée, héros mythologique grec, était un musicien et poète (un «aède») incomparable. Mais la femme qu'il aime, Eurydice, meurt, et Orphée descend alors aux enfers dont il parvient à charmer les puissances par ses chants. Il obtient même l'autorisation d'Hadès (le dieu des morts) de remonter avec Eurydice sur terre, mais, malgré sa promesse, il se retourne pour la regarder avant qu'elle ne soit sortie des enfers. Il la perd une deuxième fois.

Comme Orphée, Jamal a perdu celle qu'il aime, Latika, et l'on voit à ce moment de brèves images de la petite fille abandonnée sur le quai (avant de retomber aux mains des gangsters) mais également jeune fille à la gare de Mumbai. Cet opéra, plein de douleur et de mélancolie (qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas), n'a donc pas été choisi au hasard et réveille la tristesse cachée de l'enfant, masquée par son insouciance apparente.


 

5. Inserts

Les inserts dans Slumdog Millionaire permettent de mélanger les époques et de relier le passé et le présent. Il ne s'agit cependant pas de retours en arrière (qui sont relativement longs) mais d'images-flashs qui reviennent par exemple à la mémoire de Jamal quand l'animateur télé pointe vers lui deux doigts en forme de revolver. Il revoit alors le meurtre du bandit Maman par son frère Salim auquel on avait pourtant déjà assisté quelques instants auparavant: l'image se répète mais cette fois comme un simple flash.

L'insert ne renvoie d'ailleurs pas toujours au passé et peut aussi évoquer ce qui, pour nous spectateurs, est encore l'avenir. Quand les enfants assistent clandestinement à un opéra au Taj Mahal, Jamal se souvient de la petite Latika, mais une brève image nous montre également une jeune femme rayonnante et souriante sur le quai d'une gare: on devine qu'il s'agit de Latika adulte mais c'est la suite du film qui nous expliquera sa présence à cet endroit.

Le procédé est même utilisé de façon plus mystérieuse au début du film où l'on voit des billets qu'une main étale sur toute la surface de l'écran: on pourrait croire qu'il s'agit de l'argent que va gagner Jamal, mais la toute fin du film nous révélera qu'il s'agit des billets dont Salim s'est recouvert dans une baignoire avant de mourir.

Un dernier insert remarquable apparaît lorsqu'à la dernière question, Jamal peut donner un coup de téléphone et que l'animateur demande à son interlocutrice comment elle s'appelle: on voit alors une brève image de Latika en contre-jour sous la pluie dans la nuit, mais il s'agit bien entendu de Latika enfant (lors de sa première rencontre avec les deux frères), alors que la voix adulte est celle de la jeune femme qui dit au même moment se nommer Latika.

Les inserts n'expliquent ni ne racontent le passé, mais constituent des images remarquables qui nous restent souvent en mémoire comme elles se sont fixées dans celle de Jamal.

 

6. Couleurs, ambiances, lumières

On se souviendra peut-être que le film s'ouvre sur le visage de Jamal en gros plan, recevant de la fumée de cigarette dans la figure, le tout baignant dans une lumière jaune-orangée: il est alors interrogé et bientôt torturé par la police. Quand la caméra s'éloignera, cette lumière apparaîtra comme celle du soleil couchant (?) qui baigne la cellule. Cette lumière contrastera d'ailleurs rapidement avec la lumière bleutée, très focalisée (c'est-à-dire venant d'une source lumineuse très petite, le spot) des projecteurs du show télévisé.

On remarque assez peu les couleurs, les lumières, les ambiances au moment de la projection, mais il y a de ce point de vue de forts contrastes entre les séquences, ce qui permet de resituer facilement les images du film, même lorsque certaines d'entre elles réapparaissent (sous forme de flash-backs, de retours en arrière) à des endroits inattendus dans le film. Ainsi, toutes les séquences dans le bidonville se déroulent dans une atmosphère fortement ensoleillée.

En revanche, après les émeutes anti-musulmanes, les enfants devenus orphelins recueillent au milieu de la nuit la petite Latika sous la pluie dans une lumière froide et nocturne. La séquence avec les enfants mendiants, commencée sous le soleil, se terminera dans une ambiance dramatique pendant la nuit, avec la mutilation de l'un d'eux, puis la fuite des trois petits héros: on verra notamment les poursuivants et surtout Latika filmés en contre-jour, c'est-à-dire avec une lumière très forte (et peu réaliste) dans le dos, les faisant apparaître comme des ombres chinoises. Suivront la séquence plus apaisée au Taj Mahal, se déroulant sous un soleil radieux, puis d'autres caractérisées par une atmosphère plus ou moins spécifique (par exemple celle de la ville nocturne lors de l'expédition au bordel où se trouve Latika).

Tout le monde se souviendra également de cette image (qui revient à trois reprises) de Latika à la gare de Mumbai (juste avant qu'elle ne soit reprise par Salim et ses acolytes) vue en plongée et baignant dans la lumière chaude du soleil que reflète avec éclat son chemisier jaune et brillant.


 

7. Humour

Slumdog Millionaire joue plutôt sur l'émotion, mais on remarque néanmoins beaucoup de pointes humoristiques, même dans des moments dramatiques: ainsi, au début du film, quand le policier torture Jamal au point de le faire s'évanouir, son supérieur l'engueule parce qu'ils vont «encore avoir des ennuis avec Amnesty International». On devine ici un clin d'œil ironique du cinéaste alors que l'inspecteur bien sûr ne rigole pas du tout! On se souviendra également du petit épisode chez les enfants mendiants où la petite Latika glisse des piments dans le slip de Salim: alors que l'ambiance est sombre et que beaucoup de spectateurs devinent que les adultes ont de mauvaises intentions, cet incident comique allège brièvement l'atmosphère.

Il y a également des moments de franche rigolade, dont bien sûr la scène où Jamal plonge dans la fosse septique, la photo de sa star préférée à la main. Après les séquences dramatiques au bidonville et avec les voleurs d'enfants, les épisodes qui se déroulent au Taj Mahal sont également beaucoup plus légers avec quelques moments comiques comme les explications absurdes données par les enfants aux touristes, le vol répété des chaussures ou le démontage du taxi.

Par la suite, l'humour s'estompe bien qu'il y ait encore quelques échanges ironiques entre Jamal et l'animateur télé (celui-ci remarque, après une réponse très attendue de Jamal, qu'il fait chaud dans le studio, et Jamal lui demande s'il est nerveux, ce qui fait sursauter presque de rage son interlocuteur) ou encore cette réponse de Jamal au portier qui dit n'attendre qu'un lave-vaisselle: «c'est moi le lave-vaisselle».

On peut donc parler de changements de tons qui permettent de détendre l'atmosphère et qui concourent au rythme général du film qui apparaît ainsi comme relativement varié, même si la seconde moitié (à partir du meurtre du bandit Maman) est placée sous le signe d'une tension croissante qui ne se résoudra qu'avec les retrouvailles entre Jamal et Latika (et la mort de Salim).


 

8. Reprises

Certaines reprises sont évidentes et jouent même un rôle important dans l'histoire générale: c'est le cas en particulier du roman Les Trois Mousquetaires qui apparaît à l'école au début du film, dont parlent ensuite Jamal et Salim en se demandant si la petite Latika pourrait être le troisième mousquetaire, et qui constitue enfin le sujet de la dernière question du jeu télévisuel. Cette reprise vise en fait à nous leurrer en tant que spectateurs puisque, lorsqu'apparaît la dernière question du jeu, nous sommes persuadés que Jamal connaît la réponse, ce qui n'est pas le cas!

L'effet est similaire avec la question sur les joueurs de cricket. On a vu les enfants au début du film s'entraîner au cricket sur un terrain interdit, ce qui semble témoigner d'un intérêt certain pour ce jeu; puis beaucoup plus tard, lorsque Jamal retrouvera Latika devenue l'épouse d'un gangster, celui-ci mettra la télévision pour regarder un match de cricket au cours duquel on pourrait croire que va être donnée la réponse à la question posée à «Qui veut gagner des millions?».

Mais il y a des reprises plus significatives. Lors de la course-poursuite dans le bidonville au début du film, les enfants puis le policier qui les pourchasse se cognent à un moment à une voiture où se trouve un gangster, une espèce de chef mafieux local (le policier s'excuse même de l'avoir dérangé!). Il s'agit de Javed, le gangster au service duquel se mettra plus tard Salim, et qui deviendra également l'époux de Latika.

Mais la situation se répète avec un changement significatif quand les policiers ramènent Jamal pour la dernière question du jeu télévisuel: c'est Jamal à l'intérieur de l'auto qui est cette fois interpellé notamment par une pauvre femme qui lui demande s'il est bien Jamal et qui l'encourage à poursuivre. C'est donc un renversement de valeurs puisque le gangster respecté et craint dans le bidonville est à présent supplanté par Jamal, parti de rien et proche à présent de la plus grande réussite!

On signalera une dernière reprise presque poétique ou au moins dramatique. Fuyant les malfaiteurs exploiteurs d'enfants mendiants, la petite Latika est perdue par Jamal et Salim aux abords d'une gare (ce qui est justifié par le récit puisque le train permet aux enfants de s'enfuir). Mais, quand Jamal donne rendez-vous à Latika devenue l'épouse d'un gangster, la rencontre a lieu à la gare centrale de Bombay où Latika sera pour la seconde fois victime d'un rapt. Et bien sûr, les retrouvailles auront lieu dans cette même gare. Même si tous ne partageront pas cet avis, on peut trouver un aspect poétique à cette reprise dans la mesure notamment où les gares invitent évidemment au voyage et sont donc comme des portes ouvertes sur un avenir plein d'espoir.


 

9. Les âges de la vie

On voit immédiatement Jamal adulte puisque le film commence pratiquement avec les premières questions du jeu télévisuel. Rapidement, le film évoque l'enfance des deux frères dans le bidonville, puis leur fuite avec Latika et leur séjour chez les bandits exploitant des enfants mendiants. Les deux frères fuient à nouveau, cette fois en train, et se retrouvent, après quelques péripéties, aux abords du Taj Mahal. Du temps a passé, et ils ont à présent une douzaine d'années. Il faut cependant être très attentif pour découvrir le moment où s'opère le changement d'acteurs: les deux enfants vont monter sur le toit d'un train puis essayer de voler de la nourriture dans un wagon avec l'aide d'une corde, ce qui entraînera leur chute au bas de la voie.

Quand ils se relèveront dans un nuage de poussière, ce ne seront plus les mêmes acteurs! Ce qui est évidemment impossible dans la logique du récit mais qui est à peine remarqué par les spectateurs de cinéma. On peut même voir dans ce choix — Danny Boyle aurait pu montrer de façon explicite le passage des années — un clin d'œil du cinéaste aux spectateurs les plus attentifs ou les plus critiques.

Entre-temps cependant, Latika a disparu, et on ne la retrouvera jeune adolescente que bien plus tard (avec bien sûr un changement d'actrice) au bordel où les deux frères vont la récupérer. L'épisode se termine mal pour Jamal qui se fait expulser par Salim et qui perd alors toute trace de ses deux compagnons.

Le passage à l'âge adulte est d'abord celui de Jamal qu'on découvre travaillant dans un «call center», ce qui lui permet de retrouver la trace de son frère. Lors de leur rencontre dans un immeuble en construction, Salim est évidemment adulte (et l'acteur a changé), et il va alors permettre involontairement à Jamal de retrouver Latika, elle aussi devenue une jeune femme. Ces derniers changements sont moins spectaculaires et tout à fait crédibles dans la logique du récit.

De manière générale, le recours au procédé des retours en arrière permet au cinéaste d'éviter le problème des transitions temporelles auquel il aurait été confronté si l'histoire avait été racontée de manière chronologique: ici, Jamal ne se souvient que de quelques moments-clés de son existence, et l'on ne s'interroge pas sur ce qu'il a pu faire entre huit et douze ans ni entre douze et dix-huit ans. La chute du train apparaît néanmoins comme une transition humoristique (si du moins on la remarque).


 

10. Montage

Comme Slumdog Millionaire mélange différentes époques, les raccords entre ces époques différentes peuvent produire des effets surprenants de contraste plus ou moins violent: ainsi, lorsque l'animateur télévisuel pose une toute première question à Jamal «Dites-nous quelque chose de vous», le plan suivant nous montre la tête de Jamal brutalement plongée dans un seau d'eau par le policier qui l'interroge. Le choc visuel est très fort et surprenant.

De la même manière, quand l'animateur lui pose la question «Qui a inventé le revolver?», le plan suivant nous montre, accompagné du bruit d'une détonation, le visage du bandit Maman qui va être abattu par Salim (ce qu'on a déjà vu), puis un autre plan montre le même Salim le revolver à la main dans le couloir de l'hôtel où ils se sont réfugiés avec Jamal (ce qu'on n'a pas encore vu). Les époques se télescopent et se mélangent de façon étonnante et déroutante.

Le montage peut cependant également être trompeur quand par exemple il nous montre la rencontre de Jamal et de son frère en haut d'un building en construction: Jamal se précipite vers Salim et ils tombent tous les deux dans le vide, mais avant que leurs corps n'aient atteint le sol, la caméra saisit en gros plan le visage de Jamal presque impassible. Ils ne sont pas tombés, ce n'était qu'une espèce de rêve.

Enfin, le montage permet de créer une grande tension dramatique à la fin du film: il y a alors une alternance d'images montrant, d'une part, Jamal qui s'apprête à répondre à la dernière question du jeu (sur Les Trois Mousquetaires), et, d'autre part, la foule qui, dans tous les coins de la ville et du pays, assiste à l'événement à la télévision; mais, au même moment, Salim enfermé dans la salle de bains est aux prises avec le chef des gangsters, et c'est au moment où l'animateur déclare enfin que c'est la bonne réponse, que le chef pénètre dans la salle de bains et se fait abattre par Salim. Alors que Jamal triomphe et que la foule explose de joie sur la musique entraînante du jeu, Salim se fait aussitôt après abattre par ses complices. Le montage rapide des images, impossible à reconstituer en détail, donne évidemment une intensité visuelle et émotionnelle à cette coïncidence à la limite de la vraisemblance.


 

11. L'animateur du jeu

Il y a des indices très explicites de l'hypocrisie de l'animateur du jeu télévisuel et même une preuve éclatante dans le film puisqu'il inscrit une fausse réponse dans la buée déposée sur le miroir des toilettes pour faire échouer Jamal. Mais plusieurs de ses réactions moins visibles ont déjà révélé précédemment sinon sa duplicité du moins son égocentrisme et son mépris à l'égard de Jamal. Au début du jeu, il s'est par exemple moqué des hésitations de Jamal qui a répondu «Oui… non…» (à une simple question) en lui demandant si c'était bien là son dernier mot.

De façon plus subtile, il reprend également Jamal lorsqu'il donne la réponse à la question «qui est l'auteur du chant Darshan Do Ghanshyam?»: le jeune homme prononce le nom de Surdas /sœrdas/ (comme dans «sœur») que l'animateur corrige alors en /surdas/ (comme dans «sourd»).

On voit également l'animateur réagir de façon brutale quand, après qu'il a remarqué qu'il faisait chaud dans le studio, Jamal lui demande s'il est nerveux: «Quoi!? réplique l'animateur, moi, nerveux? C'est vous qui êtes sur le grill, mon ami!» À ce moment, l'on comprend que l'animateur ne supporte pas que Jamal lui vole peu à peu la vedette et qu'il mette notamment les rieurs de son côté.

Enfin, on devine l'hostilité ou le mépris de cet animateur à travers des gestes, des mimiques, des expressions à peine visibles. L'on se souvient notamment qu'il pointe deux doigts vers Jamal, comme pour imiter un revolver, quand il lui pose la question de l'inventeur de cette arme de poing, ce qui en soi pourrait n'être qu'une petite blague pas méchante mais qui, dans le contexte général, peut être vu comme menaçant ou violent.

Mais les indices sont souvent plus ténus et relèvent essentiellement du jeu de l'acteur qui, par exemple, aux premières questions, sourit de façon un peu méprisante, mais dont le sourire se transforme ensuite en une espèce de rictus forcé quand Jamal franchit les différentes étapes du jeu. Ainsi encore, quand il demande de façon ironique à Jamal s'il a déjà vu un billet de cent dollars, il appuie le coude sur le pupitre en se tenant le menton en main en esquissant un fin sourire, ce à quoi Jamal réplique d'ailleurs «le pourboire minimum pour mon service»: tout le maintien de l'acteur, toute son expression faciale, même difficiles à décrire avec des mots, nous permettent alors de ressentir l'ironie méprisante sous-jacente à sa question.

 

12. Décors

Beaucoup d'exemples de décors mémorables peuvent être facilement cités depuis le bidonville jusqu'au célèbre Taj Mahal. Mais un peu d'attention permet aussi de mieux comprendre comment le cinéaste choisit et montre ces décors. Lors de la course-poursuite dans le bidonville entre les enfants et les policiers, le cinéaste nous révèle, «en passant», des aspects de la vie quotidienne (un barbier, une femme qui nettoie son linge) tout en soulignant, par un plan vu du ciel, l'étendue de ce bidonville. Il en montre également de façon incidente des aspects particulièrement sinistres comme cette rivière ou ce canal plein de détritus dans lesquels patauge un homme pour y rechercher on ne sait trop quoi. On se souviendra également de ces toilettes en plein air aux abords du bidonville qui ne dispose donc pas de système d'égouts, ou bien encore de ce grand lavoir collectif où les femmes sont contraintes de laver le linge (et où la mère de Jamal sera tuée). Ces images frappantes n'étonnent cependant pas vraiment dans un tel lieu.

Plus tard, les voyages en train jusqu'au Taj Mahal permettront de montrer des paysages divers et champêtres de l'Inde, même si ces images sont très traditionnelles et proches de la carte postale (comme le sera encore la vue sur la façade de la gare centrale de Bombay à l'architecture aussi célèbre que reconnaissable).

En revanche, la manière dont le cinéaste montre les transformations de Mumbai est sans doute plus originale. On se souvient bien sûr du paysage de buildings en construction que découvrent Jamal et Salim lors de leurs retrouvailles. Mais il y a d'autres décors étonnants comme ce plan bref d'un building en construction juste à côté d'une colline rocheuse aussi haute que lui mais qu'on est vraisemblablement en train de creuser comme un fromage et de faire disparaître; ou bien cet hôtel apparemment déserté mais neuf où vont se réfugier Salim et Jamal après avoir récupéré Latika; ou encore cette riche villa du gangster où vit Latika et qui est complètement isolée au pieds de buildings qui poussent derrière elle comme des champignons alors que tout le reste du paysage est transformé en chantier.

Enfin, il y a également une manière d'utiliser les décors qui peut être plus ou moins originale: on verra ainsi le Taj Mahal pris dans la poussière soulevée par la chute des deux garçons du train, ou bien (à la fin du film) plongé dans l'obscurité et complètement déserté par les visiteurs et le personnel qui se pressent autour d'une télé pour voir la dernière manche du jeu «Qui veut gagner des millions?»; on découvrira par ailleurs les quais de la gare de Mumbai transformés à la fin du film en une étonnante piste de danse pour comédie musicale; on se souviendra aussi de ce long couloir souterrain où le jeune Jamal retrouve le petit mendiant aveugle et d'où se dégage une atmosphère sinistre et inquiétante due notamment à la présence d'un employé utilisant un étrange fumigène; enfin, on n'oubliera pas bien sûr cette salle de bains dont la baignoire est transformée par Salim en étonnant lieu de suicide.


 

Un dossier pédagogique complémentaire à l'animation proposée ici est présenté à la page suivante.
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