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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Même la pluie (También la lluvia)
d'Icíar Bollaín
France/Mexique/Espagne, 2011, 1h43


L'analyse proposée ici s'adresse à tous les spectateurs qui verront le film Même la pluie et qui souhaitent approfondir leur réflexion sur ses thèmes principaux. Elle retiendra également l'attention des animateurs en éducation permanente qui souhaiteraient débattre de ce film avec un large public. Elle propose de revenir en particulier sur les analogies historiques que le film établit entre la situation présente en Amérique du Sud et le passé de la colonisation espagnole.

Le film

Sebastian, un jeune réalisateur passionné, débarque avec son producteur dans le décor somptueux des montagnes boliviennes pour entamer le tournage d'un film historique sur l'arrivée de Christophe Colomb aux Antilles et l'asservissement des Indiens. Les budgets sont serrés et Costa, le producteur, est ravi de pouvoir employer des comédiens et des figurants locaux à moindre coût. Or Daniel, l'acteur recruté pour incarner l'un des rôles principaux du film, est aussi le leader d'une révolte contre le pouvoir en place, qui souhaite privatiser l'accès à l'eau courante. Impuissants face à cette vague populaire, Costa et Sebastian sont bien obligés d'adapter le calendrier du tournage aux aléas de la rue. Tandis que le producteur se montre vivement contrarié par tous ces contretemps, Sebastian, incarné par Gael Garcia Bernal (qui interprétait déjà le personnage du Che dans le film Carnets de voyage de Walter Salles) prend petit à petit conscience des enjeux de la lutte menée pour la survie de tout un peuple.

Même la pluie porte indéniablement la marque militante de son scénariste, Paul Laverty, connu pour avoir travaillé à de nombreuses reprises avec le célèbre réalisateur britannique Ken Loach. Le dispositif, qui permet de mettre en parallèle grâce au tournage d'un film, les 16e et 21e siècles, souligne habilement l'exploitation similaire dont sont victimes les Amérindiens au fil du temps. Ainsi les multinationales occidentales remplacent aujourd'hui les colons d'hier pour maintenir les populations autochtones dans un rapport de soumission et de dépendance, qui se traduit encore à un troisième niveau : la supériorité de l'équipe de production/réalisation ‹ d'origine occidentale, c'est elle qui prend les décisions, recrute et rétribue les comédiens ‹ sur les acteurs, recrutés sur place, sous-payés et souvent traités avec beaucoup de condescendance.

Objectif

L'objectif principal de l'analyse proposée ici est d'examiner en quoi le procédé de la mise en abyme utilisé dans le film participe à la construction d'un point de vue critique sur la réalité. Dans le cas de Même la pluie, les motivations du scénariste à recourir à un tel procédé sont clairement expliquées par Paul Laverty dans un entretien où il dit être intéressé non pas par l'idée même du «film dans le film» mais bien par la possibilité que lui offrait la mise en abyme de mettre en parallèle deux réalités séparées par un intervalle de cinq siècles.

Il s'agit donc ici d'expliciter les analogies entre ces deux périodes historiques : l'arrivée de Christophe Colomb sur le territoire américain (1492) et la guerre de l'eau à Cochabamba en Bolivie (2001), ces analogies étant soulignées par un montage cinématographique en parallèle qui permet de rapprocher ces deux événements éloignés dans le temps.

Le contre-pied de l'Histoire

A priori, l'on pourrait penser que la démarche des auteurs du film trouve son origine dans leur volonté d'attirer l'attention des spectateurs sur le problème de la privatisation de l'eau en Bolivie et que la référence à la conquête espagnole vient à l'appui de leur thèse. Or c'est précisément l'inverse qui s'est produit, Paul Laverty ayant confié dans le cadre d'une interview qu'il souhaitait depuis longtemps écrire un scénario sur le débarquement de Christophe Colomb aux Antilles. L'idée de la guerre de l'eau à Cochabamba est en réalité venue dans un second temps et a été intégrée au scénario grâce au procédé de la mise en abyme, qui apparaît donc ici comme une sorte de subterfuge destiné à actualiser le propos historique et éviter le film de genre, trop éloigné de notre monde moderne et de ses préoccupations.

Même la pluie, qui met donc en parallèle deux périodes de l'histoire relativement éloignées dans le temps, a nécessité une approche documentée des réalités qu'il confronte. Alors que, dans nos pays occidentaux, la récente guerre de l'eau menée par les habitants des quartiers pauvres de Cochabamba est un fait pratiquement inconnu du grand public, la «Conquête» de l'Amérique et le personnage de Christophe Colomb, premier Européen à être parvenu sur le continent américain à la fin du XVe siècle, comptent parmi les références acquises dès l'école primaire. Les participants auront sans doute remarqué qu'en mettant l'accent sur le point de vue de personnalités moins connues comme Antonio de Montesinos, Bartolomé de las Casas ou le chef indien Hatuey, Icíar Bollaín et son scénariste Paul Laverty donnent de ce navigateur conquérant une image beaucoup moins glorieuse et héroïque que celle transmise par les manuels scolaires.

L'objectif de l'analyse proposée ici n'est pas de procéder à une comparaison stricte (mais sans doute un peu vaine et fastidieuse) de deux versions de l'histoire mais bien de réfléchir aux intentions de la réalisatrice Icíar Bollaín et de son scénariste Paul Laverty lorsqu'ils ont choisi de montrer autrement un fait historique unanimement reconnu comme un «grand» événement dans la construction du monde contemporain.

La création d'analogies

Le procédé de la mise en abyme utilisé dans Même la pluie permet de confronter habilement deux périodes historiques. Par rapport aux événements qui se sont déroulés dès la fin du XVe siècle aux Antilles, l'épisode de Cochabamba permettait en effet de retrouver le même rapport de domination et d'exploitation des Indiens par les Occidentaux, une même répression violente de leurs droits les plus fondamentaux et un même combat avec, à leur tête, un même leader emblématique: Hatuey et Oscar Olivera, tous deux incarnés dans le film par le même personnage: Daniel. L'objectif est donc ici de comprendre comment cette mise en regard de deux époques participe elle aussi à la construction d'un point de vue sur la réalité.

Concrètement

Commençons par quelques questions simples autour de cette confrontation d'époques: perçoit-on clairement un parallélisme entre les deux événements historiques évoqués? Ce parallélisme est-il particulièrement appuyé dans Même la pluie? Peut-on déjà identifier l'un ou l'autre moyen utilisé pour renforcer ce parallélisme?

Précisons immédiatement ce qu'on entend par un «montage parallèle» au cinéma:

Au cinéma, le montage parallèle désigne une façon de faire se succéder des plans ou des scènes qui montrent deux ou plusieurs actions qui ne se déroulent pas au même moment ni nécessairement au même endroit. Le montage parallèle désigne donc une juxtaposition d'éléments sans lien temporel aux fins de produire un effet de comparaison. Ainsi, c'est l'association des plans qui crée du sens et le but recherché par le réalisateur est généralement de faire passer un message ou de rendre compte de son point de vue sur une situation donnée.
La mise en abyme utilisée par Paul Laverty et Icíar Bollaín se double donc dans Même la pluie d'une mise en parallèle des deux événements historiques qui fondent d'une part le thème du film de Sebastian (les exactions de Christophe Colomb et de ses hommes sur le sol américain aux XVe et XVIe siècles), et d'autre part le contexte qui entoure le tournage de ce film (la guerre de l'eau à Cochabamba). La particularité du procédé tel qu'il est utilisé dans le film tient à ce que les analogies construites entre les deux situations s'étendent sur l'ensemble de Même la pluie, au point qu'on pourrait parler d'une «analogie filée», comme l'on parle parfois de «métaphore filée».
En effet, souvent, les réalisateurs utilisent le procédé de manière limitée en juxtaposant simplement deux plans, et la comparaison, qui ne peut forcément porter que sur des éléments visuels, apparaît immédiatement, même si le sens de cette comparaison peut nécessiter un temps de réflexion et n'apparaît que de manière sous-jacente ou implicite. Or dans le film d'Icíar Bollaín et de Paul Laverty, le rapprochement des événements établi par le montage parallèle des deux intrigues historiques produit un effet d'analogie qui ne porte pas seulement sur des éléments visuels, même si ceux-ci peuvent effectivement servir de base à une comparaison plus large.

Penchons-nous à présent sur le travail de la réalisatrice, qui a construit entre les deux situations un certain nombre d'analogies thématiques. Une fois ces analogies identifiées, il s'agira de les approfondir en élargissant la comparaison aux domaines généraux mis en parallèle: les rapports de supériorité des uns sur les autres, l'appropriation des ressources naturelles ainsi que les violences qui leur sont liées.

D'un point de vue pratique, nous proposons de mener une réflexion sur une dizaine d'images extraites de Même la pluie. Il s'agira d'abord de les apparier et de les comparer deux à deux en examinant ce qu'elles ont en commun.

313-01.jpg 313-02.jpg
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Cette comparaison d'images sera complétée par des documents particulièrement significatifs. Certains extraits de documents sont ainsi présentés dans leur version originale espagnole et sont plus particulièrement destinés aux lecteurs qui apprennent ou qui maîtrisent cette langue. D'autres encore sont de nature iconique et témoignent des événements qui ont eu lieu à chacune des deux époques; ils seront retiendront plus particulièrement l'attentin des personnes intéressées par le traitement de l'image.

Voici par ailleurs quelques questions qui doivent permettre de guider l'analuyse de ces différents documents:

  • Quels points communs entre la conquête espagnole et la guerre de l'eau à Cochabamba peut-on dégager?
  • Quel est le point de vue d'Icíar Bollaín et de Paul Laverty sur la réalité vécue aujourd'hui par les Indiens?
  • En quoi la référence au passé permet-elle de renforcer ce point de vue?
  • Que penser de cette comparaison établie par le scénariste et la réalisatrice du film? est-ce qu'elle «tient la route» ou au contraire semble-t-elle exagérée, forcée, déplacéeŠ?
  • etc.

Commentaire

L'analyse des images et des documents proposés permet de mettre en évidence le fait que les analogies construites par les auteurs du film portent toutes sur les aspects négatifs des rapports qui existent (ou ont existé) entre deux entités très larges ‹ d'une manière générale, «les» Indiens d'Amérique latine et «les» Occidentaux, groupe qui englobe à la fois les conquistadores et les multinationales ‹ sans qu'il ne soit fait de place à la nuance ou à la complexité. En effet, les thèmes sur lesquels porte la comparaison sont essentiellement la confiscation des ressources naturelles (l'or/l'eau), la répression (représentée dans les deux cas par des Indiens poursuivis par des hommes armés et secondés par des chiens), la privation de liberté (les prisonniers étant encordés par la nuque à un tronc d'arbre renversé dans un cas et enfermés ensemble dans un cachot sombre et minuscule dans l'autre) et l'atteinte à l'intégrité physique (mutilation des Taïnos d'une part, coups et blessures sur les Quechuas d'autre part) jusqu'au lynchage avec l'exemple des blessés entassés à l'hôpital ou au meurtre collectif avec l'exemple de Hatuey et des autres Indiens brûlés vifs.

La manière dont le film fait ressortir ces ressemblances traduit ainsi un point de vue très dur et très critique tant sur la réalité d'aujourd'hui que sur la réalité d'hier. Certains spectateurs, plus sceptiques sur la pertinence des rapprochements effectués ou même la nature des faits relatés, seront peut-être enclins à mettre en cause le travail d'Icíar Bollaín et de Paul Laverty. Si la construction des analogies entre les deux situations peut effectivement faire l'objet d'avis divergents et de critiques argumentées, les faits en eux-mêmes peuvent par contre être difficilement contestés si l'on se réfère aux documents et témoignages qui ont servi de base à leur mise en scène. C'est ce qu'auront permis de montrer, du moins on l'espère, les documents présentés dans le cadre de cette analyse.

Quelques documents pour analyser les analogies perçues

Journal de bord de Christophe Colomb, 12 novembre 1492

«Ils [les Indiens] sont crédules; ils savent qu'il y a un Dieu dans le ciel et restent persuadés que nous sommes venus de là. Ils sont très prompts à dire quelque prière que nous leur enseignons et font le signe de la croix. Ainsi Vos Altesses doivent se déterminer à en faire des chrétiens, et je crois que, si l'on commence, en très peu de temps Vos Altesses parviendront à convertir à notre Sainte Foi une multitude de peuples en gagnant de grandes seigneuries et richesses ainsi que tous les peuples d'Espagne, parce que sans aucun doute il y a dans ces terres de grandes masses d'or. Et ce n'est pas sans raison que ces Indiens que j'emmène disent qu'il y a dans ces îles des endroits d'où ils extraient celui qu'ils portent au cou, aux oreilles, aux bras et aux jambes en très gros bracelets. Il y a aussi des pierres, des perles précieuses et une infinité d'épices. Dans ce fleuve des Mers d'où je suis parti cette nuit, il y a certainement une grande quantité de gomme et il y en aura plus encore si l'on veut en avoir parce que les arbres eux-mêmes, aussitôt plantés, prennent racine, et il y en a beaucoup [Š]. On tirera aussi de ce pays une grande masse de coton, et je crois qu'il se vendra très bien par ici sans qu'il faille l'amener en Espagne, mais bien dans les grandes cités du Grand Khan[1] que nous découvrirons sans aucun doute, et chez beaucoup d'autres seigneurs qui se feront un honneur de servir Vos Altesses, où on apportera d'autres produits d'Espagne et des terres d'Orient puisque celles-ci sont au ponant[2] par rapport à nous.»


1. Christophe Colomb pense qu'il est alors aux portes de l'empire chinois. Le titre mongol de «khan» désigne un souverain. Dès le Moyen Age, il a été utilisé par les sultans de l'empire ottoman mais aussi, entre autres, par les souverains chinois. Les personnes les plus célèbres à avoir porté ce titre sont les Mongols Gengis Khan et son petit-fils, connu pour avoir fondé la dynastie Yuan en Chine. Les «grands khan» désignent ainsi les descendants de Gengis Khan qui sont au pouvoir.

2. «Ponant» vient du verbe latin «ponere», qui signifie «se coucher», en parlant du Soleil. Le mot désigne aussi la partie du monde qui se trouve au couchant du Soleil.


 


document iconographique 1 :
Hatuey brûlé vif sur un bûcher en 1512

Le sermon d'Antonio Montesinos

Sermon prononcé en 1511 à Saint-Domingue par Antonio de Montesinos et rapporté un peu plus tard par Bartolomé de las Casas dans son ouvrage Historia de las Indias.

«Esta voz, dijo él, que todos estáis en pecado mortal y en él vivís y morís, por la crueldad y tiranía que usáis con estas inocentes gentes. Decid, ¿con qué derecho y con qué justicia tenéis en tan cruel y horrible servidumbre a estos indios? ¿Con qué autoridad habéis hecho tan detestables guerras a estas gentes que estaban en sus tierras mansas y pacíficas, donde tan infinitas de ellas, con muertes y estragos nunca oídos, habéis consumido? ¿Cómo los tenéis tan opresos y fatigados, sin darles de comer ni curarlos en sus enfermedades, que de los excesivos trabajos que les dais incurren y se os mueren, y por mejor decir, los matáis, por sacar y adquirir oro cada día? ¿Y qué cuidado tenéis de quien los doctrine, y conozcan a su Dios y creador, sean bautizados, oigan misa, guarden las fiestas y domingos? ¿Estos, no son hombres? ¿No tienen almas racionales? ¿No estáis obligados a amarlos como a vosotros mismos? ¿Esto no entendéis? ¿Esto no sentís? ¿Cómo estáis en tanta profundidad de sueño tan letárgico dormidos? Tened por cierto, que en el estado [en] que estáis no os podéis más salvar que los moros o turcos que carecen y no quieren la fe de Jesucristo».

Cette voix, dit-il, dit que vous vivez et mourez tous en état de péché mortel en raison de la cruauté et de la tyrannie que vous infligez à ces gens innocents. De quel droit et avec quel sens de la justice maintenez-vous ces Indiens dans une si cruelle et horrible servitude? De quelle autorité avez-vous mené tant de guerres détestables contre ces gens doux et pacifiques qui vivaient sur leurs terres, où vous avez épuisé tant d'entre eux, avec des morts et des dégâts comme on n'en a jamais vu? Comment pouvez-vous les maintenir dans un tel état d'oppression et de fatigue, sans leur donner à manger ni soigner leurs blessures au point qu'ils succombent et meurent à cause des travaux excessifs que vous leur infligez ou, pour mieux dire, que vous les tuez à force de leur faire extraire de l'or chaque jour pour vous remplir les poches? Et quel cas faites-vous de la doctrine par laquelle ils reconnaissent leur Dieu et créateur, sont baptisés, écoutent la messe, observent les jours fériés et les dimanches? Ces gens-là, ne sont-ce pas des hommes? N'ont-ils pas une âme rationnelle? N'êtes-vous pas contraints de les aimer comme vous-mêmes? Ne comprenez-vous pas cela? Ne le ressentez-vous pas? Comment pouvez-vous rester plongés dans un sommeil aussi profond, dans un tel état de léthargie? Soyez certains que dans l'état où vous vous trouvez, vous êtes aussi perdus que les Maures ou les Turcs qui ignorent et refusent la foi en Jésus-Christ.


 


document iconographique 2 :
Indiens dévorés par des chiens (gravure de Théodore de Bry, 1592)

La junta de Burgos

De esta forma el rey Fernando decidió convocar en Burgos a los mejores juristas y teólogos de la época para tratar la cuestión de la naturaleza y condición de los indios y establecer las conclusiones que deberían servir de base para su futura regulación legal en América. [Š] La Junta de Burgos, que llegó a celebrar más de veinte sesiones en la Sala Capitular del desaparecido Convento dominico de San Pablo, estaba formada por las siguientes personas: Fue presidida por el obispo de Palencia, que dos años más tarde ocuparía la mitra de Burgos, Juan Rodríguez de Fonseca, y participaron el letrado Hernando de la Vega, los licenciados Gregorio (predicador del rey), Santiago Zapata, Moxicay Santiago, el doctor López de Palacios Rubios (el más afamado jurista de la época y ferviente seguidor de las teorías que atribuían el máximo poder terrenal al Papa),y los teólogos fray Tomás Durán, fray Pedro de Covarrubias y fray Matías de Paz, los tres dominicos. De La Española llegaron fray Antonio de Montesinos y su superior en América fray Pedro de Córdoba mientras los colonos, por su parte, enviaron a su representante en la persona del franciscano Alonso del Espinar. Surgieron básicamente dos posturas opuestas, en lo relativo a la situación de los indios, es que máticamente expuestas: Los dominicos mantuvieron en todo momento la libertad y los derechos del indio, en su condición de hombre libre, denunciando el maltrato que la institución de la encomienda les procuraba, y por parte de los miembros del Consejo Real, quizá abanderados por el licenciado Gregorio, se defendía la postura de los colonos y de la encomienda como institución legítima y eficaz. En la postura de este último, anidaba la opinión de que el indio no era titular de derechos y que era susceptible de cualquier trato con tal de que se consiguiese el fin perseguido por los colonizadores: la explotación económica de las nuevas tierras y la conversión forzosa del indígena. Los dominicos mantuvieron una posición común, y por parte del resto del Consejo bien es cierto que no todas las opiniones eran coincidentes. Junto a la más radical postura del licenciado Gregorio, se encontraron otras intermedias, que, persiguiendo los mismos fines que éste, los procuraban con un mejor trato al indio por resultar más efectivo, no tanto por atribuirle la condición de ser humano titular de derechos. Fue en la Junta de Burgos cuando Matías de Paz, formuló por primera vez la teoría de que el indio era un ser humano pleno de derechos, estableciendo las bases de la doctrina que Vitoria sistematizaría 20 años después. Por otra parte, hay que tener en cuenta que el Codicilo de Isabel, protector del indio, estaba en la mente de Fernando y que los Reyes Católicos ya habían dictado ordenanzas en favor del reconocimiento del indio, como por ejemplo la cédula citada de 20 de junio de 1500 que ordenaba anular la venta de esclavos y el retorno de éstos a América con Bobadilla, lo cual indica que las primeras dudas abrigadas por los Reyes Católicos, fueron prontamente despejadas y en la voluntad real, primero de Isabel y después de Fernando, estaba la idea de favorecer y reconocer los derechos del indio, sin olvidar lo antedicho respecto del interés real en no permitir el florecimiento de una nueva nobleza en América.

La Junta de Burgos llegó a las siguientes conclusiones:

  1. Los indios son libres y deben ser tratados como tales, según ordenan los Reyes.
  2. Los indios han de ser instruidos en la fe, como mandan las bulas pontificias.
  3. Los indios tienen obligación de trabajar, sin que ello estorbe a su educación en la fe, y de modo que sea de provecho para ellos y para la república.
  4. El trabajo que deben realizar los indios debe ser conforme a su constitución, de modo que lo puedan soportar, y hadeir acompañado de sus horas de distracción y de descanso.
  5. Los indios han de tener casas y haciendas propias, y deben tener tiempo para dedicarlas para su cultivo y mantenimiento.
  6. Los indios han de tener contacto y comunicación con los cristianos.
  7. Los indios han de recibir un salario justo por su trabajo.

L'assemblée de Burgos

Le Roi Ferdinand décida ainsi de convoquer à Burgos les meilleurs juristes et théologiens de l'époque afin de traiter la question de la nature et de la condition des Indiens et établir les conclusions qui devaient servir de base à la future législation concernant leur statut en Amérique. [Š] L'Assemblée de Burgos, qui parvint à tenir plus de vingt sessions dans la Salle Capitulaire de l'ancien Couvent dominicain de San Pablo, était constituée des personnes suivantes: Juan Rodrigues de Fonseca, l'évèque de Palencia qui devait occuper deux ans plus tard la prélature de Burgos, en fut le Président; y prirent également part les avocats Hernando de la Vega, Gregorio (prédicateur du roi), Santiago Zapata et Moxicay Santiago, le docteur Lopez de Palacios Rubios (le juriste le plus fameux de l'époque et le plus fervent défenseur des théories qui attribuent au Pape la toute-puissance sur terre), ainsi que les théologiens Frère Thomas Duran, Frère Pedro de Covarrubias et Frère Matias de Paz, tous les trois Dominicains. D'Hispaniola vinrent Frère Antonio de Montesinos et son supérieur en Amérique, Frère Pedro de Cordoba, tandis que les colons envoyèrent pour leur part leur représentant en la personne du Franciscain Alonso del Espinar. Concernant la situation des Indiens, il y eut essentiellement deux positions opposées, qui peuvent se résumer de la manière suivante: alors que les Dominicains ont constamment défendu la liberté et les droits de l'Indien, reconnaissant sa condition d'homme libre et dénonçant les mauvais traitements que l'institution de l'encomienda leur faisait subir, les membres du Conseil Royal, peut-être sous l'égide de l'avocat Gregorio, défendaient quant à eux le point de vue des colons, reconnaissant l'encomienda[1] comme une institution légitime et efficace. Cette position sous-entendait que l'Indien ne possédait aucun droit et qu'il était par conséquent susceptible de faire l'objet de n'importe quelle transaction avec quiconque recherchait le même but que les colons: l'exploitation économique des nouvelles terres et la conversion forcée des indigènes. Les Dominicains ont toujours maintenu une position commune, mais pour une partie des membres du Conseil, il est bien certain qu'il existait des divergences d'opinions. À côté du point de vue radical de l'avocat Gregorio, on trouvait des positions intermédiaires qui, tout en poursuivant les mêmes buts que lui, réservaient un meilleur traitement à l'Indien, cela moins parce qu'ils lui reconnaissaient la condition d'être humain pourvu de droits que pour assurer son efficacité. Lorsque ce fut au tour de Matias de Paz de s'exprimer à l'assemblée de Burgos, il formula pour la première fois la théorie selon laquelle un Indien était un être humain pourvu de droits, jetant les bases de la doctrine que Francisco de Vitoria[2] systématisera vingt ans plus tard. D'autre part, il faut tenir compte du fait que le Codicille d'Isabelle, qui protégeait l'Indien, restait à l'esprit de Fernando et que les rois catholiques avaient déjà dicté des ordonnances en faveur de la reconnaissance de l'Indien comme, par exemple, l'acte précédemment cité du 20 juin 1500, qui ordonnait l'annulation de la vente d'esclaves et leur retour en Amérique avec Bobadilla; ceci indique que les premières inquiétudes manifestées par les rois catholiques avaient été rapidement dissipéeset qu'il existait une volonté réelle de leur part, d'abord dans le chef d'Isabelle et ensuite dans le chef de Ferdinand, de favoriser et reconnaître les droits de l'Indien, sans oublier le respect susmentionné de l'intérêt réel qu'il y avait à empêcher l'épanouissement d'une nouvelle noblesse en Amérique.

L'Assemblée de Burgos parvint aux conclusions suivantes:

  1. Les Indiens sont libres et doivent être traités comme tels, conformément à ce que les Rois ont décrété.
  2. Les Indiens doivent être instruits dans la foi, comme le réclament les bulles pontificales.
  3. Les Indiens ont l'obligation de travailler sans que cela n'entrave leur éducation dans la foi, et de manière à ce que cela soit profitable tant à eux-mêmes qu'à l'Etat.
  4. Le travail imposé aux Indiens doit être conforme à leur constitution de façon à ce qu'ils puissent en supporter le poids; il doit également s'accompagner de périodes de loisir et de repos.
  5. Les Indiens doivent garder propres leurs maisons et haciendas (propriétés agricoles) et doivent disposer de temps à consacrer à leurs cultures ainsi qu'à leurs activités de subsistance.
  6. Les Indiens doivent avoir des contacts avec les Chrétiens et entretenir la communication avec eux.
  7. Les Indiens doivent recevoir un salaire juste pour leur travail.

1. Il s'agissait d'une forme de servage et de travail forcé des Indiens.

2. Théologien espagnol (1483-1546), il a défendu dans son ouvrage De Indis l'idée que les Indiens sont des êtres humains comme les autres. À ce titre, il faut l'un des premiers défenseurs des droits des Indiens avec Bartolomé de Las Casas.


 


document iconographique 3 :
reportage photographique sur des mouvements populaires et des répressions armées en Amérique latine

L'escroquerie du siècle: Bechtel contre les Boliviens

par Elizabeth Peredo, Réseau Voltaire | La Paz (Bolivie) | 10 janvier 2005

Le géant états-unien Bechtel parviendra-t-il à réaliser l'escroquerie du siècle? Après avoir acquis la concession de distribution des eaux dans une région bolivienne, il a conduit l'administration locale à remettre en cause son contrat en augmentant brusquement ses tarifs de 300 %. Puis, il a porté plainte devant la Banque mondiale pour rupture unilatérale et réclame 25 millions de dollars d'indemnités correspondant aux profits qu'il escomptait engranger en 40 ans. Elisabeth Peredo de la Fundación Solón s'insurge contre ce racket du peuple bolivien organisé avec la complicité du gouvernement et de la Banque mondiale. [Š]

Le gouvernement [bolivien] devrait savoir que des citoyens états-uniens, militants des Droits de l'homme, ont eu le courage d'aller manifester devant les portes du CIRDI contre cette agression de Bechtel envers la Bolivie. Ils ont publiquement invité les membres du CIRDI à discuter de la pauvreté dans notre pays afin de les amener à rejeter la demande de Bechtel. Quelle confiance pouvons-nous avoir dans des dirigeants qui ont entaché l'image du pays en donnant la charge contre des manifestants en quête de justice et de souveraineté et qui ne faisaient que pointer les sérieux problèmes apportés par la privatisation de nos services et de nos ressources naturelles?

Ce sont les autorités qu'il faut condamner, celles qui signent des contrats réduisant la population bolivienne et particulièrement la plus pauvre et humble à ne pas accéder à l'eau à moins de la payer au prix fort, avec des tarifs indexés au dollar et des retours sur investissement faramineux pour les multinationales. Alors cette supposée «sécurité juridique», qu'on invoque à tort et à travers, porte atteinte à nos droits et à notre dignité. Ceux qui l'invoquent avec tant d'emphase et manque de discernement offensent notre intelligence.

Au-delà des clauses en petits caractères des contrats, de leurs annexes et des astuces pour tirer le plus grand profit possible de ces circonstances, le fait d'abandonner le droit à l'eau au secteur marchand génère toute une chaîne de violations des droits humains comme le rappelle l'expérience d'une femme de Cochabamba: «un service privatisé affecte notre économie familiale et finit par devenir une sombre affaire entre les mains d'une poignée d'individus». Il semblerait que la Bolivie ait déjà dépensé plus d'un million de dollars de ses fonds publics pour les seuls honoraires d'avocats et divers voyages au CIRDI à Washington, c'est-à-dire plus que n'a dépensé le consortium en Bolivie.

Le gouvernement bolivien a adhéré au Pacte international sur les Droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, lequel suppose que l'eau ‹ qui est une condition pour la réalisation d'autres droits humains ‹ «doit être considérée comme un bien social et culturel et non comme un bien économique (...) C'est une condition pour la réalisation d'autres droits», selon le Comité des Nations Unies pour les droits économiques et sociaux (résolution du 27 novembre 2002).

Espérons que ce soit ce Pacte de l'ONU, et pas d'autres traités, qui régira la conduite et l'éthique de nos dirigeants quand ils devront répondre aux conflits entre sécurité juridique des multinationales et Droit de l'homme à l'eau et à l'assainissement.


Ce qui s'est passé ensuiteŠ

La plainte déposée par Bechtel devant la Banque mondiale pour rupture unilatérale de contrat a finalement été retirée en janvier 2006. Aujourd'hui, la SEMAPA (service public) a remplacé Aguas del Tunari dans la gestion de l'eau à Cochabamba. L'entreprise a étendu le réseau de distribution, mis en place des tarifs accessibles aux populations les plus défavorisées et développé de nombreux projets pour améliorer les infrastructures. Cette évolution est soutenue par la Banque internationale du développement et l'Union européenne, qui débloquent des crédits pour la SEMAPA, mais également par de nombreuses ONG attentives à une situation qui reste toutefois très difficile. Les canalisations sont vieillissantes, les fuites nombreuses (55% de l'eau produite) et l'entreprise, déficitaire, n'a pour capacité d'investissement que celle que lui apportent les institutions étrangères. D'après l'autorité bolivienne de régulation de l'eau, en 2006, la moitié de la ville n'avait toujours pas accès à l'eau du réseau. Les quartiers pauvres du sud de la ville se sont ainsi organisés en comités d'utilisateurs afin de gérer leurs propres systèmes d'approvisionnement. Obligée de faire appel à des camions-citernes ou à des puits individuels, la population est donc tributaire d'un service qui n'est généralement assuré que quelques heures par jour.


 


document iconographique 4 :
reportage photographique sur des mouvements populaires et des répressions armées en Amérique latine

Interview avec Oscar Olivera, le leader de la révolte de Cochabamba

  • Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans la lutte pour défendre l'eau et pourquoi vous êtes-vous battu contre sa privatisation à Cochabamba?

Dans le contrat de la concession d'eau qu'avait Aguas del Tunari et dans son règlement de service concernant l'eau potable, les mesures prises affectaient directement les gens dans leur vie de tous les jours. L'une d'entre elles était le prix et la «dollarisation» de l'eau pour les gens connectés au réseau central ; une autre était l'expropriation des réseaux hydrographiques alternatifs qui avaient été construits par des centaines de coopératives ; et troisièmement, il s'était créé un marché de l'eau qui mettait ainsi un terme aux utilisations traditionnelles et aux coutumes dans la gestion de l'eau et qui retirait les droits des communautés à leurs propres ressources en eau. En plus de ces règles, «ils» avaient instauré un taux fixe de 16 % de rendement pour la multinationale et avec ça, la population devait même demander la permission au contrôleur des services d'Assainissement pour collecter l'eau de pluie. Un résidant, connecté au réseau central, a vu ses tarifs triplés en un jour. Les gens qui n'étaient pas connectés, ne pouvaient pas obtenir d'eau à cause du monopole de la multinationale. Les réseaux hydrographiques communs, construits grâce au travail de tous, ont été remis à la compagnie sans aucune compensation en retour. Ils ont fait exactement la même chose en permettant la gestion des lacs et des rivières appartenant aux petites communautés agricoles. La privatisation et la politique de la Banque Mondiale ont affecté chacun d'entre nous sans exception parce que personne ne peut vivre sans eau.

  • Ainsi comment avez-vous réussi à jeter Aguas del Tunari de Cochabamba?

D'abord nous avons découvert que le contrat de la concession, complètement corrompu et fait dans le dos de la population, favorisait totalement la multinationale aux dépens de la population. Notre première tâche fut de voir quel type de contrat avait été signé et avec qui, parce que nous ne savions rien. Nous avons découvert que c'était une compagnie enregistrée dans les Îles Caïman, reliée à la compagnie «EU Bechtel», une société italienne «Edison» associée à une autre, «Abengoa», une espagnole. Elle avait un capital déposé dérisoire, de dix millions de dollars alors qu'elle devait gérer un projet de 300 millions de dollars. Ensuite nous nous sommes mis en charge d'informer les gens des effets de la privatisation et puis, troisièmement nous avons voulu mobiliser les gens pour leur dire que nous ne voulions pas de cette loi ou de ce contrat et qu'Aguas del Tunari devait partir. Alors nous avons aidé à développer une loi qui a garanti l'accès à l'eau comme un droit du public. Donc nos tâches étaient de faire des recherches, communiquer, évaluer, organiser, mobiliser et finalement proposer.

  • Où en êtes-vous dans votre élaboration d'un nouveau modèle de gestion de l'eau?

Il y a toujours beaucoup à faire, mais nous avons fait quelques avancées significatives. Par exemple sans augmenter les tarifs de l'eau et grâce au travail collectif des communautés, nous avons pu prolonger des réseaux d'eau et d'égouts dans des zones périphériques sur des centaines de kilomètres. Nous avons constitué un syndicat qui met en place la politique de SEMAPA (service public) et représente le principal moyen de contrôle du citoyen par l'élection de représentants parmi les résidents. Ainsi il y a une base de départ pour un contrôle local même s'il y a toujours beaucoup à faire. Ce qui manque toujours, ce sont les gens pour prendre des décisions politiques et contrôler les budgets de la société. Nous le réalisons tous les jours et cela ne changera que si nous changeons les règles du jeu dans la gestion des sociétés publiques. Par exemple, le SEMAPA n'a pas de budget indépendant propre. Au lieu de cela, il doit être approuvé par la Municipalité, le Ministère des Finances et le Parlement. En conséquence, il n'est pas possible de construire une société publique gérée par les citoyens. L'Assemblée constituante devra se débarrasser de ce labyrinthe légal qui ne permet pas le développement de ce type de société publique directement gérée par les citoyens. [Š]

  • Pourquoi l'eau est-elle devenue l'axe des luttes sociales en Bolivie?

À Cochabamba, à cause de la pénurie d'eau et de l'utilisation cynique que des politiciens ont faite des besoins de base de la population pour obtenir des votes. Deuxièmement, pour la façon détournée dont un «actif» public a été remis aux multinationales et à des sociétés privées qui, par conséquent, sont devenues les maîtres d'un bien essentiel pour la vie. Nous constatons régulièrement que des communautés indigènes et rurales se mobilisent contre la contamination de leurs ressources d'eau. Le fait que l'on ait donné des concessions aux compagnies pétrolières et minières qui ont conduit à des déplacements de communautés et de leurs ressources en eau, a obligé les gens à se mobiliser. Sans eau, personne ne peut vivre et c'est pourquoi personne ne peut s'approprier ce cadeau, qui est le sang de la terre, notre mère à tous, «Pachamama». L'eau a conduit les gens, non seulement en Bolivie, mais partout dans le monde, à réagir. L'eau est la dernière ressource dont les multinationales ont eu très envie pour faire des bénéfices, et nous sommes obligés de la préserver pour les générations futures.

ACME, 20 septembre 2006.


Affiche du film

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