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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au dessin animé :
Le Garçon et la Bête
de Mamoru Hosoda
Japon, 2015,1 h 58


Longtemps considérés comme des productions médiocres destinées à un public enfantin, les dessins animés japonais — les mangas — sont aujourd'hui reconnus comme un genre pleinement adulte grâce aux réalisations d'auteurs comme Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké, Le Vent se lève), Isao Takahata (Goshu le violoncelliste), Masayuki Kojima (Le Piano dans la forêt) ou Mamoru Hosoda. Mais que pouvons-nous retirer comme enseignement de ces réalisations sur la culture, la civilisation, la « mentalité » et la société japonaises ?

Le film en quelques mots

Déjà connu des spectateurs occidentaux par ses précédents films les Enfants Loups Ame & Yuki (2012) et la Traversée du temps (2006), le réalisateur japonais Mamoru Hosoda nous revient avec le Garçon et la Bête, un dessin animé avec une forte dimension initiatique.

Après le décès de sa mère, Ren, un jeune garçon de 9 ans vivant à Tokyo, décide de fuguer et de subvenir seul à ses besoins en vivant dans la rue. Kumatetsu, un combattant de la ville de Jutengaï située dans le Monde des Bêtes, cherche désespérément un disciple pour asseoir sa légitimité et prétendre à la succession au trône face à un rival très populaire, Iozen. Le garçon, Ren, et la bête, Kumatetsu, vont se rencontrer et s'apporter mutuellement plus qu'ils ne l'auraient jamais cru possible.

Dans ce conte initiatique, Mamoru Hosoda aborde des thèmes critiques de l'adolescence comme la recherche identitaire, l'importance cruciale de la qualité des relations avec l'entourage (notamment familial et amical), ainsi que celle des apprentissages dans le développement de la personnalité de l'enfant et de l'adolescent.

S'inscrivant pleinement dans l'esthétique du manga, le Garçon et la Bêtepuise son inspiration dans le Japon médiéval autant que le Japon contemporain pour façonner un univers fantastique reflétant bien les malaises d'une société passée de l'ère féodale à l'ère numérique en moins d'un siècle.

Aborder une autre culture : le Japon

Le film d'animation Le Garçon et la Bête, de Mamoru Hosada, offre aux spectateurs, jeunes ou moins jeunes, une occasion idéale de découvrir quelques aspects importants de la culture japonaise. Dans l'analyse qui suit, c'est cette dimension que nous souhaitons aborder avec les spectateurs, en les amenant à identifier dans le film quelques particularités culturelles de ce pays très différent de l'Occident.

L'objectif de cette analyse et de la courte suggestion d'animation qui l'accompagne est de comprendre comment un film de fiction, un dessin animé de surcroît, peut nous informer (au sens le plus fort du terme) sur le « monde » qu'il représente et que nous ne connaissons pas (ou seulement partiellement) en tant que spectateurs : un film n'est jamais une pure fiction mais il n'est pas non plus une représentation directe de la réalité. Comment dès lors prendre la mesure de la médiation que constitue la fiction ? Tel est l'objet de cette analyse. La réponse à cette question n'est jamais simple et elle implique notamment de prendre en considération des sources d'information extérieures au film lui-même, qui fournissent alors des points de comparaison et des outils de compréhension.

Trois aspects importants

On trouvera ci-dessous trois encadrés consacrés aux aspects de la culture japonaise les mieux représentés dans le Garçon et la Bête : le Japon médiéval, les religions et croyances et le manga. Si l'animateur travaille avec un groupe de spectateurs, il pourra répartir ces textes entre les différents participants

Chaque texte est accompagné d'un ensemble d'illustrations spécifiques : les images 1 à 4 illustrent ainsi le premier texte, consacré au Japon médiéval ; les images 5 à 8 accompagnent le deuxième, qui se rapporte aux religions et croyances, et enfin les images 9 à 18 complètent l'approche du manga abordée dans le troisième document.

Il s'agira d'abord pour les spectateurs de prendre connaissance de ces documents et de réfléchir ensuite aux liens qui peuvent être établis avec le film. On trouvera à la suite de ces textes différents analyses qui pourront nourrir la réflexion et la discussion.

Le Japon médiéval

Avant d'être le pays moderne que nous le connaissons aujourd'hui et qui apparaît dans le Garçon et la Bête avec le quartier Shibuya de Tokyo, le Japon a connu une période médiévale fort longue (du 12e au 19e siècles) caractérisée par un système féodal semblable à celui que nous avons connu en Occident entre le 10e et 14e siècles. Dès le 12e siècle, le pouvoir de l'empereur a fortement diminué pour devenir par la suite inexistant en raison de l'apparition d'une nouvelle classe : celle des guerriers avec, à sa tête, les shoguns, qui deviennent les véritables dirigeants du Japon. À partir de là, des conflits éclatent régulièrement entre l'empereur et les shoguns et il faut attendre les débuts du 17e siècle pour que s'ouvre une ère de paix et de prospérité : l'ère d'Edo, du nom de la ville fondée une vingtaine d'années plus tôt et qui deviendra Tokyo en 1868, moment où les shoguns disparaissent et où le pouvoir de l'Empereur est rétabli. Afin de rétablir l'unité du pays, le Japon fermera alors ses frontières jusqu'au milieu du 19e siècle. Sollicitée par les Américains qui souhaitent établir des relations commerciales avec le pays, la réouverture des frontières est alors l'occasion pour les Japonais de signer plusieurs traités avec les États-Unis mais aussi avec la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et la Russie. À partir de là, le Japon va connaître une croissance économique considérable qui le propulsera en moins d'un siècle au rang des grandes puissances mondiales.

Pendant toute la période d'Edo, le Japon est divisé en fiefs qui appartiennent à des seigneurs. Comme les shoguns, les seigneurs font partie de la classe des guerriers - la classe sociale la plus haute - tout comme les samouraïs, qui représentent les combattants sur le terrain. Tout le temps du samouraï est consacré à l'entraînement militaire (maniement des armes blanches, lutte ou sumo[1]), tir à l'arc ou encore maîtrise des chevaux) et, sur le plan moral, à l'acquisition d'un code de conduite - le « bushido » ou « voie des guerriers » - fondé sur des valeurs telles que le respect, le loyauté, le courage, l'honneur, la fidélité à la parole donnée, le sens du devoir ou encore le détachement des biens matériels. Dès son plus jeune âge, le samouraï reçoit une éducation sévère qui vise à lui inculquer la maîtrise de soi et le rendre insensible à la souffrance et à la mort. L'essentiel de sa panoplie consiste en un petit sabre et un plus grand appelé « katana ». Long de plus de 60 centimètres, le katana présente une lame de forme courbe à un seul tranchant qui se porte à la ceinture, glissé dans un fourreau. Symbole de loyauté et de courage, ce sabre représente l'âme du samouraï et, dans la tradition japonaise, il peut être bénéfique ou maléfique selon la personnalité de son propriétaire. L'art de son maniement s'appelait le « Ken-Jutsu » connu aujourd'hui comme l'ancêtre du Kendo, l'un des arts martiaux les plus populaires au Japon. Il impliquait notamment pour le samouraï la nécessité d'avoir une profonde conscience des mouvements corporels, qu'il s'agissait d'explorer en observant son propre corps afin de comprendre et d'anticiper ceux de son ennemi.

Dans la Japon traditionnel, le Maître est la figure centrale de l'enseignement des arts martiaux et ses élèves portent le nom de disciples. Quand ceux-ci vivent avec leur Maître, ils sont chargés de s'occuper des tâches ménagères (cuisine, nettoyage, vaisselle, lessive…). Généralement, si les arts martiaux japonais se pratiquent aujourd'hui comme autant de disciplines sportives, ils sont historiquement liés à l'art de la guerre même s'ils ne peuvent être réduits à de simples techniques de combat. Conçus au départ comme disciplines d'éveil et de maîtrise de soi destinées à compléter l'éducation militaire, ils conservent ainsi dans leur pratique toute cette dimension spirituelle.


1. Le sumo est, on le sait sans doute déjà, une forme de lutte très ancienne et typiquement japonaise qui se pratique aujourd'hui encore à titre de sport national et dont les combattants - les sumotoris - sont considérés au Japon à l'égal de demi-dieux.

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Les croyances et la religion

Dans la culture japonaise, la religion occupe une place importante. Le peuple japonais a d'ailleurs élaboré une religion qui lui est propre et dont le culte n'est suivi qu'à l'intérieur de ses propres frontières : le Shintô, dont les concepts principaux sont le caractère sacré de la nature, la croyance en plusieurs dieux (le polythéisme) ainsi que la croyance en l'existence des âmes et des esprits comme force susceptible d'animer les êtres vivants mais aussi les objets et les éléments naturels (l'animisme). Le Shintô ou « Voie des dieux » souligne en particulier l'importance pour l'homme de vivre en harmonie avec la nature. Les divinités célébrées s'appellent les « Kami », dont le nombre atteint huit cents millions et parmi lesquelles on trouve le soleil, la lune, des montagnes, des animaux, des personnalités importantes, l'Empereur lui-même…  En d'autres mots, dans l'imaginaire japonais, toute chose, qu'elle soit animée ou non, peut être habitée par un esprit. Le ciel est considéré comme le lieu de séjour des kami, qui sont régulièrement invoqués en différentes occasions : pour appeler la pluie ou obtenir de bonnes récoltes, à l'occasion d'événements marquants… Le sentiment de communion avec la nature et les ancêtres, la pureté personnelle - le Shintô insiste sur l'importance de la propreté et d'une bonne hygiène corporelle - et le principe de solidarité représentent les bases spirituelles du Shintô, dont le culte se pratique dans des lieux sacrés très dépouillés appelés sanctuaires.

C'est au 6e siècle qu'apparaît le bouddhisme, une religion originaire d'Inde et qui arrive au Japon via la Chine. Cette nouvelle religion suscite un réel engouement et devient rapidement religion d'État. Des temples bouddhistes sont construits par centaines, souvent dans le voisinage des sanctuaires Shintô. Les deux religions vont d'ailleurs commencer à se mélanger au point qu'il est difficile aujourd'hui de dissocier ce qui appartient véritablement à l'une ou à l'autre croyance. Sur un plan général, on peut dire que le Shintô se focalise sur la manière de trouver le bonheur au cours de la vie tandis que le bouddhisme insiste, lui, sur la vie après la mort et le cycle des renaissances entamé grâce à la réincarnation. Selon cette croyance, notre corps et notre esprit sont liés tout au long de notre vie mais, au moment de la mort, ils se séparent : alors que le corps devient cadavre, l'esprit continue à vivre jusqu'à trouver sa place dans un autre corps (être humain, animal, créature des enfers, dieu, demi-dieu… En résumé, la réincarnation signifie donc que les êtres prennent naissance de manière répétée dans toutes ces formes de vie jusqu'à ce qu'ils atteignent finalement le Nirvâna. L'être qui atteint ainsi la Vérité ou Nirvana, notamment grâce à ses vertus de sagesse porte le titre de Bouddha (l'Éveillé »). Considéré comme un être parfait, il est libéré du cycle des réincarnations et des souffrances humaines. De nombreuses statues et images de Bouddha sont conservées dans la salle principale des temples, lieu de culte des fidèles et des moines.

C'est également au 6e siècle que le confucianisme est introduit au Japon. Né en Chine, ce courant de pensée humaniste s'est développé à partir de l'enseignement d'un philosophe chinois du nom de « Confucius ». En réalité, le confucianisme peut être défini à la fois comme une philosophie, une religion et une morale. Fondé sur des principes comme la bonne conduite et la sagesse, ce courant recherche l'harmonie dans les relations humaines, qui peut être atteinte à la condition que chaque individu trouve en lui la richesse intérieure nécessaire. L'un de ses concepts les plus importants est le ren, censé se manifester tout d'abord au sein même de la famille, dans la relation du fils au père. C'est cette relation qui servira ensuite de modèle à l'ensemble des relations sociales. En tant que concept éthique, le ren désigne une vertu essentielle correspondant à la notion de bienveillance (bonté, charité, humanité…) et est constitué de quatre éléments fondamentaux : la loyauté, la fidélité à la parole donnée, le courage et les capacités de discernement, censées mener à une prise de décision judicieuse.

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Le manga

Le manga désigne une bande dessinée ou un dessin animé japonais. Il s'agit d'une forme d'expression très codifiée et reconnaissable à ses caractéristiques graphiques mais aussi thématiques. En s'enracinant dans le quotidien, le manga explore en effet de nombreuses problématiques actuelles tout en apportant un lot considérable d'informations sur la vie au Japon, sur son histoire, sa culture et ses valeurs, témoignant entre autres des malaises d'une société passée de l'ère féodale à l'ère numérique en moins d'un siècle. C'est donc un monde largement méconnu que le lecteur ou spectateur occidental découvre dans le manga : des paysages et des habitudes de vie différents des nôtres, un univers où le monde invisible du spirituel cohabite avec le réel… Plus précisément, l'école occupe par exemple dans le manga une place centrale, nous renseignant sur la vie des enfants et adolescents japonais. Entre autres, les personnages portent l'uniforme obligatoire[2] tel qu'il est porté réellement dans les écoles, où il est censé atténuer les barrières sociales. Sur le plan des valeurs, l'idée la plus présente est celle de l'importance d'étudier et de réussir, quitte pour cela à fréquenter assidûment des cours du soir spécialisés. Enfin, en tant que phénomène de société, le harcèlement à l'école est aussi très souvent évoqué. Connu sous le nom de « ijime » ou « intimidation », ce phénomène - omniprésent dans le manga mais peu pris en compte socialement - touche les élèves exclus du groupe en raison d'une différence (origine étrangère, famille éclatée, apparence, niveau scolaire au-dessus ou sous la moyenne…).

De manière plus spécifique, le shônen, mot qui désigne le type de manga réservé aux jeunes garçons, développe un ensemble de valeurs morales traditionnelles héritées du code de l'honneur des samouraïs : loyauté, obéissance, dépassement de soi… Il prend souvent la forme d'un récit d'initiation où le jeune héros traverse une période d'apprentissage longue et difficile, où l'effort et le travail sont valorisés.

Par ailleurs, le manga se distingue encore par un traitement psychologique des personnages révélateur d'un profond humanisme ; rarement tout blancs ou tout noirs, ceux-ci dissimulent souvent une part d'ombre, échappant ainsi au modèle caricatural des bons et des méchants qui prévaut dans les films d'animation occidentaux. Enfin, on retrouve généralement dans le manga une grande difficulté à concilier valeurs modernes et valeurs traditionnelles, qui s'exprime souvent à travers un récit où le respect des traditions imprégnées de croyances animistes se heurte à la rationalité et aux exigences de la société moderne.

Sur le plan esthétique, le manga présente des caractéristiques facilement identifiables. Celles-ci tiennent en grande partie à une représentation stylisée des personnages. Le visage en particulier constitue le terrain privilégié du dessinateur pour exprimer leurs différentes émotions. Pourvu de deux grands yeux plus hauts que larges laissant autour des pupilles une large surface blanche pouvant laisser apparaître des reflets, d'une chevelure noire abondante dont les mèches taillées en pointe sont souvent révélatrice d'un caractère, d'un nez absent ou effacé, d'une bouche dont les dimensions et la forme peuvent varier considérablement en fonction des sentiments éprouvés et des humeurs, et d'un petit menton arrondi. Au fil du récit, la représentation des visage reste donc rarement constante, subissant de nombreuses déformations selon les états émotionnels que le dessinateur tente de traduire. Il arrive même que des visages soient montrés en partie ou totalement vides (sans nez, sans bouche et/ou sans yeux). Cette exagération graphique caractéristique du manga autorise une grande liberté de représentation qui entre souvent en contraste avec le décor réaliste et riche en détails dans lequel ils évoluent et qui est souvent conçu sur base de photographies.


2. L'uniforme le plus célèbre du manga est le « sailor fuku », l'uniforme féminin composé d'une jupe plissée et d'un haut à col marin.

 

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Légende image 9 : Dans la tradition nipponne, le poisson-chat est assimilé aux tremblements de terre. Dans la matinée du 2 octobre 1855, la ville d'Edo (aujourd'hui Tokyo) est ravagée par un puissant séisme provoquant un tsunami et de nombreux incendies. Au lendemain de cette catastrophe, les artistes se sont mis à dessiner des centaines d'estampes représentant des scènes de lutte entre le poisson-chat et la population d'Edo, bien décidée à le maîtriser.

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Analyse et commentaires

On pourra confronter les commentaires qui suivent aux observations et analyses éventuelles des différents spectateurs. L'animateur pourra également s'y référer pour aider un groupe en difficulté au cours de l'activité ou alimenter la mise en commun des résultats qui clôturera éventuellement l'animation.

Le monde de Jutengaï

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Le prologue, c'est-à-dire la scène d'ouverture du film qui arrive avant le générique, inscrit d'emblée l'action dans le passé puisqu'il est introduit par la formule «  Il y a bien longtemps… ». Le cadre défini est celui d'un monde anthropomorphisé où évoluent des animaux et des créatures mi- humaines mi- animales. Le personnage qui règne sur Jutengaï, un lapin blanc richement vêtu, est présenté comme le Seigneur de la ville, une première information indiquant que l'action du film va se dérouler pendant la période féodale. L'architecture de la ville se révélera d'ailleurs très différente de celle du quartier moderne que l'on découvre juste après le prologue, muni entre autres de caméras de surveillance. Après avoir traversé un dédale de ruelles très étroites qui joue un peu le rôle de sas entre les deux mondes, Kuyta entre dans la ville de Jutengaï en empruntant une allée bordée d'immeubles fort semblable à celle souvent représentée à l'époque d'Edo par des artistes comme Utawaga Hiroshige (estampe 1) : portique d'entrée, architecture assez semblable, perspective identique, foule nombreuse… Il s'agit en réalité de l'avenue principale de Yoshiwara, un quartier célèbre de la ville d'Edo (qui deviendra plus tard l'actuelle ville de Tokyo). De même, la photographie 2 peut rappeler facilement les ruelles en pente et les escaliers du quartier où vit Kumatetsu. Cette photographie a été prise à Nagamachi, quartier-musée de la ville actuelle de Kanazawa où l'on peut observer l'habitat traditionnel et lieux de vie des samouraïs.

Prêt à prendre sa retraite et à la recherche d'un successeur, le Seigneur de Jutengai va devoir choisir entre deux candidats : Yosen, qui a deux fils et de nombreux disciples, et Kumatetsu, personnage très fort mais rustre, coléreux et égoïste qui ressemble à un ours et n'a ni fils, ni disciple, condition sine qua non pour être prétendant au titre.

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Pour cette raison, Kumatetsu décide de se rendre dans le monde des humains pour y enlever un enfant et en faire son disciple : ce sera Ren, auquel il donne le nom de Kyuta et qu'il va initier très vite au Ken-Jutsu, autrement dit au maniement du sabre, une discipline qui faisait partie intégrante de l'entraînement militaire que subissait tout jeune samouraï (image 3) à l'époque médiévale et qui était délivré par un Maître tel que Yosen ou Kumatetsu dans le film. Comme c'était le cas dans le Japon traditionnel, le Maître va délivrer ici son enseignement en échange de l'exécution des tâches ménagères, une pratique que Yakushubo explique à Kuyta. Au cours de son apprentissage, nous observons que l'accent est mis sur des valeurs comme la loyauté, la détermination, la sagesse, la force, le courage ou encore la maîtrise de soi, qui se trouvent toutes à la base du code de conduite que doit intégrer tout jeune samouraï et que, a fortiori, son Maître doit posséder lui-même afin de pouvoir lui transmettre :

  • La loyauté se traduit ainsi par le soutien indéfectible que Kuyta apporte à son Maître Kumatetsu durant les deux combats qui l'opposent à Yosen, une première fois au début du film, lorsque les deux prétendants au titre de Seigneur luttent à mains nues concernant la présence d'un humain à Jutengaï, et une seconde fois à la fin quand a lieu le duel officiel au terme duquel le Seigneur doit déterminer son successeur. Cette loyauté à toute épreuve est d'autant plus remarquable dans le film que ces deux personnages mettent du temps à s'apprivoiser et se chamaillent sans cesse.
  • La détermination de Kumatetsu à trouver un disciple fait quant à elle l'objet d'une grande admiration de la part du Seigneur, et cela en dépit du fait que ce disciple soit un humain, susceptible à ce titre d'introduire le chaos à Jutengaï.
  • Le courage et la force sont d'autres valeurs soulignées à plusieurs reprises dans le film, tout d'abord lorsque Kyuta reproche l'attitude inverse qu'affiche Kumatetsu dans la vie, alors que son concurrent Yosen, lui, « se lève tôt, travaille beaucoup, est très occupé mais consciencieux ». Dès lors, Kumatetsu commence un entraînement intensif au point que le Seigneur lui apparaît magiquement en pleine nuit pour souligner ses efforts et l'inviter à rencontrer de grands sages, qui lui donneront les clefs de la véritable force. En effet, « c'est en montrant l'exemple que le Maître donne à son disciple le courage de se vouer tout entier à sa formation. » Travailleur et persévérant, Kyuta fera finalement preuve de beaucoup de courage quand, à la fin du film, il affrontera Hichirohiko et ses pouvoirs malfaisants afin de préserver la ville du chaos et de la destruction.
  • Le dévouement et l'acceptation de la mort : de même que Kumatetsu n'hésite pas à sacrifier son existence animale pour se réincarner en sabre, combler ainsi le trou noir que Kyuta a à la place du cœur et devenir son protecteur, Kyuta envisage lui aussi de sacrifier sa propre vie pour le bien de la ville en absorbant les ténèbres répandues par Hichirohiko puis en retournant son sabre contre sa poitrine.
  • Enfin, le contrôle de soi apparaît comme un état particulièrement difficile à atteindre, comme l'évoque la scène au cours de laquelle Kyuta envoie instinctivement son sabre en direction de Hichirohiko après que celui-ci a planté le sien dans le dos de Kumatetsu, vainqueur du duel organisé par le Seigneur. C'est en effet au tout dernier moment que l'adolescent parvient à renoncer au meurtre de son rival, doublement aidé en cela par les deux personnages féminins de l'aventure que sont sa mère décédée, dont on peut supposer que Chico, la petite souris, est la réincarnation - celle-ci sort à ce moment-là de sa chevelure -, et Kaedé, dont il se souvient en regardant la cordelette rouge qu'elle a accrochée à son poignet pour l'aider à maîtriser la violence de ses émotions dans les moments difficiles.

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À travers les combats opposant Kumatetsu et Yosen, ce sont deux arts martiaux traditionnels qui sont évoqués dans le film : le Ken-Jutsu le sumo (image 4), au début, lorsque les deux personnages gonflent démesurément leur corps et luttent à mains nues. On retrouve là deux des quatre disciplines qui faisaient partie du programme d'entraînement militaire des jeunes samouraïs. L'attitude de Kyuta, qui s'emploie avec ténacité à observer et imiter en cachette tous les mouvements de Kumatetsu, devient petit à petit capable de les reproduire de manière automatique et de les anticiper au point de pouvoir neutraliser son Maître sans difficulté, alors qu'il est lui-même beaucoup plus petit et bien moins fort physiquement. Il s'agit là d'une dimension très importante dans l'apprentissage du Ken-Jutsu, et c'est finalement Kyuta qui va l'enseigner à son propre Maitre en échange de leçons sur le maniement du sabre.

Croyances et religion

Dans le Garçon et la Bête, on trouve plusieurs allusions aux grandes religions pratiquées au Japon. De manière frappante tout d'abord, l'adolescent au centre de toute cette histoire s'appelle Ren, du nom de l'un des grands principes du confucianisme censé produire des relations sociales harmonieuses au départ de la relation du fils au père.

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Ce détail vient en quelque sorte confirmer la primauté que le réalisateur accorde à la relation filiale, initialement rompue dans le Shibuya moderne puis lentement reconstruite à Jutengaï entre Ren, devenu Kyuta, et Kumatetsu, son Maître et père de substitution. De manière générale, il existe entre les deux personnages un rapport difficile dû à l'apprentissage d'un rôle qu'ils ne connaissent ni l'un ni l'autre, Ren ayant été élevé par sa mère après le divorce de ses parents et Kumatetsu étant devenu ce qu'il est en travaillant seul, sans parents ni Maître. C'est en réalité ce dont parlent Kyuta et Yakushumo, le bonze novice[3] (image 6), lors de leur voyage à la rencontre des sages. Afin d'évoluer dans leur relation, chacun va ainsi devoir apprendre à se connaître et trouver en lui-même cette force qu'est le ren et qui correspond à des valeurs telles que la bienveillance, le respect hiérarchique, l'humanité…

D'autre part, c'est encore un autre aspect du ren - « Fais aux autres ce que tu veux qu'on te fasse » - qui est évoqué au cours de la même soirée, lorsque Tatara dit à Kumatetsu que, s'il veut vraiment devenir un Maître pour Kyuta, il doit se rappeler ce qu'il aurait aimé qu'on fasse pour lui quand il était enfant et qu'il était tout seul. Enfin, un peu plus tard, lorsque Kumatetsu s'irrite de voir Kyuta l'imiter sans arrêt, c'est encore Yakushumo qui lui va lui expliquer la nature filiale d'un tel comportement : « Un petit garçon grandit en marchant dans les pas de son père ! », précisant que l'enfant l'a pris comme modèle comme un fils le ferait vis-à-vis de son père.

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La fin du film indiquera que tous les deux ont fini par atteindre et développer le ren puisque Kyuta est prêt à sacrifier sa vie pour libérer la ville des ténèbres et que Kumatetsu renonce lui à son existence terrestre pour veiller sur son disciple par le biais du sabre en quoi il s'est réincarné (image 7). Enfin, c'est encore cette force d'accomplissement personnel obtenue par la voie du ren qui permettra au jeune homme de renouer avec son père biologique et d'établir avec lui une relation sereine et durable.

À travers la relation entre Yosen et son fils adoptif, le film développe à l'inverse l'exemple d'un échec, qui mène Hichirohiko à poser des actes violents : rouer Kyuta de coups de poing et de pied, poignarder Kumatetsu, répandre le chaos dans le monde des humains… C'est que, dès le départ, leur relation s'est construite sur le mensonge puisque Yosen a toujours caché à tous, à commencer par son propre fils adoptif, l'identité humaine de Hichirohiko, allant même jusqu'à réclamer du Seigneur qu'il punisse Kumatetsu pour avoir ramené Kuyta dans le monde des Bêtes !

Acculé à révéler la vérité, Yosen finit par reconnaître sa responsabilité dans les événements qui viennent de se produire : en recueillant le bébé abandonné, il savait qu'il pouvait être envahi par les ténèbres mais il a cru alors qu'il pourrait maîtriser la situation ; il a été présomptueux et c'est son orgueil qui l'a conduit à sa propre perte, deux défauts parfaitement contraires au ren qui ne pouvaient que mener à l'échec.

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Dès son arrivée à Jutengaï, Kyuta apprend de Yakushumo que la ville est habitée par des animaux qui se réincarneront en divinités. Ça va être notamment le cas du Seigneur, qui doit encore choisir en quel dieu il se réincarnera et désigner son successeur. Au dernier moment, il accorde toutefois à Kumatetsu le droit de se réincarner à sa place. Devenu un dieu parmi d'autres, l'ours prend alors l'apparence d'un sabre au pouvoir bénéfique qui profitera à son fils adoptif. Ces deux caractéristiques relèvent pour l'une du Shintô polythéiste - de nombreuses divinités coexistent - et pour l'autre du bouddhisme (croyance en la réincarnation).

Toutefois, la réincarnation des animaux de Jutengaï en divinités n'a que peu à voir avec le processus de réincarnation répétitif tel qu'il est envisagé dans la religion bouddhiste et dont la fin est d'acquérir le titre de bouddha en atteignant le Nirvana, autrement dit un détachement complet vis-à-vis des désirs et passions humaines. C'est un peu cet état que semble avoir presqu'atteint le troisième Seigneur que rencontrent Kumatetsu et Kyuta au cours de leur périple : depuis des siècles, il se tient immobile comme une pierre pour oublier le temps et le monde, pour oublier sa propre existence jusqu'à transcender la réalité elle-même (image 5)… Son esprit s'est manifestement réincarné dans un être de végétation ressemblant à un arbre, ce qui est tout à fait possible dans le bouddhisme, mais renvoie aussi aux croyances animistes propres au Shintô.

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Enfin, sur le plan de l'interprétation, Chico, la petite souris blanche qu'apprivoise Ren dans son errance après le décès de sa mère, peut être considérée comme l'animal en qui son esprit s'est réincarné (image 8). En effet, le rongeur qui vit enfoui dans la chevelure du jeune homme en émerge plus particulièrement à des moments-clefs. Ainsi après son voyage à la rencontre des sages, Kyuta se réveille dans sa chambre et entame une conversation avec Chico. À cet instant précis, sa mère apparaît devant lui pour lui donner un conseil : « Pour devenir comme le Maître, il faut l'imiter ! », la voix de la souris se confondant alors avec celle de la défunte.

Cette scène valide en quelque sorte l'hypothèse d'une telle réincarnation. Et lorsque Kyuta parvient à contenir la pulsion violente de vengeance qui le pousse à tuer Hichirohiko, c'est grâce au bracelet de Kaedé mais aussi parce qu'à ce moment-là, il remarque Chico une nouvelle fois sortie de sa chevelure comme pour le dissuader d'aller au bout de son projet, de la même manière que pourrait le faire une mère face aux mauvais choix de son enfant.

Quelques caractéristiques du manga

Les thèmes : deux mondes qui se côtoient 

Le quartier de Shibuya, qui existe réellement dans la ville actuelle de Tokyo, et la ville imaginaire de Jutengaï, peuplée de créatures mi-humaines mi-animales, façonnent dans le film un univers fantastique tel qu'on en retrouve souvent dans le manga. Comme en témoigne la présence de Ren et de Hichirohiko à Jutengaï ou de Kumatetsu, Yosen ou Tatara à Shibuya, les frontières entre ces deux mondes sont poreuses et ce qui se passe dans l'un peut avoir des conséquences dans l'autre, comme on l'observe à la fin du film lorsque le chaos provoqué par Hichirohiko à Shibuya se fait sentir à Jutengaï (grondement, secousses, incendie…) et inversement, lorsque le jeune garçon éduqué par des bêtes se manifeste à Shibuya sous forme d'une ombre gigantesque ayant l'apparence d'une baleine, silhouette parfaitement invisible au demeurant sur les écrans des caméras de surveillance.

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On repère en outre entre ces deux univers un écart temporel de deux ou trois siècles qui rend particulièrement bien compte de la difficulté de concilier valeurs traditionnelles et valeurs modernes, ce qui, nous l'avons vu, provient essentiellement d'un passage extrêmement rapide de l'ère médiévale à l'ère contemporaine marquée entre autres par une technologie avancée (portables, caméras de surveillance…), l'apparition de nouveaux modèles familiaux (divorce des parents de Ren), de nouvelles valeurs de compétition (exigences des parents de Kaedé en termes de parcours scolaire) ou de nouveaux phénomènes de société comme la solitude affective des enfants (Kaedé, Ren), le harcèlement scolaire (Kaedé), etc. Cet univers présenté comme rationnel s'oppose ainsi dans le film aux croyances qui façonnaient le Japon médiéval et qui transparaissent dans bien des représentations d'époque comme, par exemple, sur l'image 9, où les habitants d'Edo tentent de tuer un immense poisson chat qu'ils estiment responsable du tremblement de terre qui vient de ravager leur ville. On fait ici facilement le rapprochement avec la baleine noire du film qui provoque le chaos dans le quartier de l'actuel Shibuya et que Ren tente de maîtriser par tous les moyens. Ce détail peut sans doute être interprété, entre autres, comme une illustration de la résurgence des croyances dans une société qui compte par ailleurs parmi les plus modernes de la planète.

Les thèmes : des portraits psychologiques nuancés

Dans le Garçon et la Bête, le personnage de Ren/Kyuta présente différentes facettes de personnalité : rempli de haine vis-à-vis du couple qui souhaite l'adopter après le décès de sa mère - « Je les déteste tous » dit-il en s'enfuyant -, l'enfant a régulièrement des accès de colère, témoignant de l'hostilité à l'égard de Kumatetsu mais n'hésitant à le soutenir quand il le faut, ému par leur communauté de destin (tous les deux sont - ou se croient - seuls au monde). C'est encore une telle communauté de destin qui lui permet de développer de l'empathie vis-à-vis de Hichirohiko en dépit des coups que ce dernier lui a assénés et des blessures qu'il a infligées à Kumatetsu : « Toi et moi, on est pareils : on est humains mais nos vrais parents sont des bêtes et on ne peut changer ça… », lui dit-il en lui nouant autour du poignet le fil rouge de Kaedé. De la même façon, on remarque des attitudes changeantes chez les deux fils de Yosen. Ainsi au début du film, lorsque Shironaru s'en prend à Kyuta en le traitant de sale humain et d'avorton, Hichirohiko prend immédiatement sa défense. Plus tard, les garçons adopteront un comportement inverse : alors que Shironaru invite Kyuta à prendre le thé chez lui et l'enjoint de se rendre au stade pour encourager son Maître lors du duel qui va pourtant l'opposer à son propre père, Hichirohiko, envahi par la jalousie, va au contraire le rouer de coups avant de s'en prendre presque mortellement à Kumatetsu à la fin du duel.

En dépit de son caractère rustre et irritable, Kumatetsu va s'attacher à Kuyta et construire avec lui une vraie relation filiale faite de chamailleries mais aussi de complicité, de soutien mutuel et de partage. Quant à Yosen, qui présente toutes les apparences d'un individu bien et d'un bon père de famille, on découvre à la fin du film qu'il recèle lui aussi sa part d'ombre : il a menti à tous à propos de la véritable identité de Hichirohiko et, alors qu'il se trouve exactement dans la même situation que son rival - ils ont tous les deux introduit un humain à Jutengaï -, il n'hésite pas faire des reproches cinglants à Kumatetsu et à demander au Seigneur de lui infliger une punition…

Les thèmes : un récit initiatique

Le thème central du Garçon et la Bête est bien sûr le parcours qui va mener Ren/Kyuta de l'enfance à l'âge adulte. Pendant huit années, le jeune garçon va traverser une série d'épreuves qui le feront grandir : trouver sa place dans le monde des bêtes, construire une relation avec son père adoptif, construire une nouvelle relation avec son père biologique, apprendre le maniement du sabre et les techniques d'approche de l'adversaire afin de le maîtriser mais aussi et surtout acquérir des valeurs de respect, de loyauté, de sagesse et de contrôle de soi. Son apprentissage est d'autant plus long et difficile qu'il est au départ capricieux, rétif à l'autorité, peu doué et totalement inexpérimenté. C'est donc à force d'entraînement, de détermination et de maîtrise de lui-même qu'il mûrit pour se montrer finalement capable de concilier les deux pans de sa vie et de son histoire. Devenu un jeune adulte fort et apaisé, il pourra désormais faire les bons choix tout en renouant des relations (familiales, amoureuses, sociales…) sereines et heureuses avec son entourage.

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Le graphisme : stylisation des personnages et réalisme des décors

Le contraste entre la représentation stylisée, assez pauvre des personnages et l'attention accordée aux détails du décor apparaît de manière assez frappante sur l'image 10. Par exemple, alors que le numéro des plaques minéralogiques est inscrit et lisible sur les voitures qui se trouvent à l'avant-plan de l'image, le visage des passants, en particulier des plus proches, sont vides de tout trait ; leurs silhouettes et leurs postures sont toutes semblables et standardisées : corps minces, taille moyenne, vêtements sans fantaisie et passe-partout…

À l'inverse, la représentation des décors interpelle par son degré de réalisme, comme on peut encore l'observer en mettant en regard les images 11 (extraite du film) et 12 (vue photographique de Shibuya) : même si le point de vue adopté n'est pas du tout le même, on reconnaît néanmoins parfaitement la voie à quatre bandes suspendue qui traverse le quartier, le « Shibuya Hikarie » (l'immeuble[4] le plus imposant qui domine la vue) et son environnement immédiat (par exemple, le toit ondulé blanc qui forme sept vagues et abrite les quais de la gare toute proche).

 

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Un même souci du détail dans la représentation réaliste des décors se remarque encore quand on compare les images 13 (extraite du film) et 14 (vue photographique de Shibuya) sur lesquelles on reconnaît le très célèbre « Shibuya Crossing » ou « carrefour Hachiko », l'un des plus fréquentés au monde et qui est connu pour ses passages pour piétons dont l'un traverse obliquement le centre du carrefour.

Comme on le voit sur les deux illustrations, des écrans de télévision géants et de nombreux panneaux publicitaires dominent le carrefour. Comme pour les deux images 11 et 12, le point de vue en plongée n'est pas tout à fait identique mais on reconnaît de nombreux détails : la configuration générale du carrefour, l'enseigne « 109 men's », temple japonais de la mode masculine, l'enseigne « Tsutaya », une chaîne de location de livres, CD, DVD/Blu-Ray…, l'abri qui se trouve devant ce commerce, les marques au sol, reproduites avec beaucoup de précision, les arbres, fidèlement disposés aux emplacements où ils se trouvent réellement…

Le graphisme : L'expression graphique des émotions

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Comme en témoignent les images 15 à 18, le souci de réalisme observé dans le dessin des décors tranche avec la représentation des visages, susceptible de varier grandement en fonction des états émotionnels affichés par les personnages. Ainsi sur l'image 15, les traits des quatre personnages sont absents, à l'exception du dessin de la bouche, marquée d'un trait à peine visible pour trois d'entre eux. Alors que les visages vides des passants remarqués sur l'image A10 apparaissaient comme le fruit d'une simple stylisation - les traits physiques et les émotions de tous ces personnages anonymes qui font partie du décor et n'ont aucun rôle dans le film importent peu -, cela ne semble pas être le cas pour ces quatre personnages amenés à prendre en charge le destin de Ren. Ces visages vidés de toute expression peuvent être interprétés ici plutôt comme la représentation d'une absence totale d'empathie entre l'enfant et ces adultes « étrangers » censés remplacer ses parents.

De la même façon, sur les images 16 et 17, les traits de Hichirohiko (16) et de Kuyta (17), qui sont alors en pleine lutte, n'ont finalement plus grand' chose d'humain : les yeux du fils de Yosen se limitent à deux grands disques blancs dépourvus de pupille, son nez a disparu et sa bouche, fendue en un large sourire rouge, est maintenant dépourvue de dents. Ces caractéristiques lui donnent en quelque sorte l'aspect d'un androïde, en d'autres termes d'un robot à l'apparence humaine. Durant ce combat, Kuyta a lui aussi des traits complètement déformés mais pas de la même manière : le visage de couleur bleu/vert, les yeux recouverts par une chevelure épaissie ressemblant à une crinière, la bouche et le nez transformés en museau animal, il présente en réalité tous les traits d'une bête féroce prête à attaquer. Sur le plan de l'interprétation, l'on peut dire que les deux visages exacerbent à ce moment-là la nature profonde des deux jeunes adultes : celle d'un être robotique, sans cœur ni état d'âme pour Hichirohiko ; et celle d'un être animé par des pulsions animales pour Kyuta.

Enfin, une autre particularité graphique qui éloigne encore ces deux personnages d'une représentation réaliste consiste à illustrer concrètement la difficulté qu'ils ont parfois à maîtriser leurs émotions, le sentiment de vide, de manque qu'ils éprouvent en certaines circonstances, par le dessin d'un trou blanc entouré d'un halo noir plus ou moins étendu, plus ou moins fugace, qui se développe à partir de leur poitrine (image 18).


3. Ce terme désigne les religieux bouddhistes de certains pays d'Extrême-Orient comme le Japon par exemple.

4. Cet immeuble de 180 mètres de haut a été inauguré tout récemment, en avril 2012. Construit sur 38 étages (34 en hauteur et 4 en sous-sol), il abrite un immense théâtre, un centre commercial s'étalant sur huit étages, un espace consacré aux événements, des restaurants, des bureaux…

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