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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
La Première Étoile
de Lucien Jean-Baptiste
France, 2008, 1h30


L'analyse proposée ici s'adresse à des animateurs qui verront le film La Première Étoile avec un large public et qui souhaitent approfondir avec les spectateurs les principaux thèmes de ce film. Cette analyse pourra être menée sous forme de débat avec des groupes de spectateurs : si l'objectif est bien de faire progresser la réflexion des uns et des autres à ce propos, on veillera cependant à laisser aux participants une part active et une nécessaire liberté dans l'interprétation de ces thèmes.

Le film

Sous des dehors légers, cette comédie donne certainement à réfléchir ! Si l'on rit en effet beaucoup en voyant ce film, il propose un portrait contrasté et coloré de la France actuelle (ou de la Belgique) sans caricature excessive ni clichés sommaires.

Jean-Gabriel est français, noir de peau, marié et père de trois enfants ; il vit de petits boulots, passant beaucoup de son temps au bar du coin où il joue au tiercé. Sans doute victime de discrimination à l'embauche, il semble s'être résigné un peu trop vite à son sort de perdant. Un jour, pour faire plaisir à sa fille, il promet pourtant à toute sa famille de les emmener en vacances au ski. Mais cette fois, sa femme lui demande de tenir sa promesse, sans quoi elle le quittera… Et voici Jean-Gabriel obligé de faire preuve d'imagination pour parvenir à ses fins.

Si le ton est celui de la comédie, ce film pose des questions importantes comme les stéréotypes liés à l'appartenance ethnique ou sociale. Il permet également d'approcher avec des spectateurs de différentes générations des problématiques de l'âge adulte comme celle des difficultés financières vécues par les parents ou du choix d'une carrière, problématiques rarement abordées au cinéma.

Dans une perspective d'éducation permanente, on proposera ici une analyse du film centrée sur la question des stéréotypes, raciaux mais également culturels, sociaux ou simplement cognitifs.

Clichés et stéréotypes

L'intrigue de la Première Étoile repose sur un stéréotype plusieurs fois répété: «les Noirs ne savent pas skier». Alors que son père est prêt à renoncer à des vacances qui apparaissent comme une folie financière, Ludo affirme en effet que c'est ce que lui ont dit des condisciples, ce qui fait changer aussitôt d'avis Jean-Gabriel. En même temps cependant, le film montre la fausseté de ce stéréotype puisqu'à son terme, le jeune Ludo remportera sa «première étoile».

Le film énonce donc des clichés qui sont effectivement largement répandus, mais en les dénonçant de façon ironique comme des idées toutes faites, peu ou mal fondées. La question des clichés et des stéréotypes liés en particulier à la race ou à l'ethnicité est ainsi au cœur du film et constitue une voie d'accès très pertinente pour une analyse plus approfondie. Avant de procéder à une telle analyse, il faut sans doute mener une petite réflexion autour de la notion même de «cliché» ou de «stéréotype».

Pratiquement

Commençons donc par demander aux participants de définir ce qu'est un «cliché», de trouver éventuellement quelques synonymes et d'en citer quelques exemples… Invitons-les également à recueillir des images (publicités, affiches…) porteuses de clichés ou stéréotypes.

Définition et exemples

Le cliché est généralement défini comme une idée toute faite, banale et largement répétée, sur des groupes sociaux, ethniques ou nationaux ou encore sur certaines situations de la vie courante.

Les synonymes les plus couramment utilisés de«cliché» sont «stéréotype», «poncif», «lieu commun», «idée reçue», «préjugé» ou encore «banalité».

Les exemples de clichés sont innombrables et peuvent porter sur des sujets aussi différents que:

  • les groupes ethniques, sociaux ou nationaux: par exemple, «les Anglais sont roux», «les Juifs sont riches», «les Noirs sont de grands enfants», «les Belges sont tellement stupides que…», «les Français aiment faire grève», «les Allemands sont disciplinés», etc.
  • les groupes religieux: «les musulmans sont des terroristes», «la religion musulmane est incompatible avec la démocratie», «les Juifs sont les assassins du Christ», «le bouddhisme est pacifique», «les peuples primitifs sont animistes[1]», etc.
  • les sexes et la sexualité: «les femmes sont bavardes», «les hommes ne pensent qu'à ça», «les homosexuels sont efféminés», «les blondes sont stupides», etc.
  • les âges de la vie: «le niveau (culturel, intellectuel, scolaire…) baisse», «les jeunes ne s'intéressent à rien», «les vieux ne comprennent rien à rien», etc.
  • la vie courante: «Qui vole un œuf vole un bœuf», «le rap est une musique de sauvages», «les fonctionnaires sont des paresseux», «tout augmente!», etc.

Dans les exemples précédents, les stéréotypes concernent essentiellement des représentations partiales de certains groupes ou de certaines situations (ils concernent donc ce qu'en linguistique, on appelle le signifié); en matière de stylistique littéraire cependant, le mot «cliché» désigne plutôt des manières convenues et trop souvent répétées de s'exprimer (ce qu'en linguistique, on appelle le signifiant). Il s'agit dans ce cas d'expressions verbales relativement figées qui sont reprises telles quelles dans le discours commun mais aussi dans les médias ou les œuvres littéraires: citons en vrac des expressions comme «une eau cristalline», «les usagers ont une nouvelle fois été pris en otages», «ce fait divers repose la question [de la sécurité dans les prisons, de la délinquance juvénile ou de n'importe quel problème social]», «avoir une faim de loup ou une fièvre de cheval», «il faut se rendre à l'évidence [qui souvent n'a rien d'évident…]», tel homme politique, tel sportif «a connu une véritable descente aux enfers», etc.

Dans le cas du discours politique, l'on parle alors facilement de «langue de bois» pour désigner ce genre d'expressions trop souvent entendues comme «retrouver le chemin de la croissance», «les ravages du néo-libéralisme», «la conjoncture actuelle», «une avancée essentielle dans la lutte contre [la pauvreté, la pollution, le terrorisme ou n'importe quoi de négatif]», «un véritable projet de société», «une réelle volonté politique», etc. Enfin, l'on considère aujourd'hui comme «politiquement correct» des manières euphémisées de désigner des groupes plus ou moins stigmatisés: ainsi, on préférera parler de «personnes à mobilité réduite» plutôt que de «handicapés», d'«Afro-Américains» que de «Noirs» américains («Nègres» étant totalement tabou), de «demandeurs d'emploi» que de «chômeurs», de «techniciens de surface» plutôt que de «femmes de ménage» (ce terme étant en outre jugé sexiste puisqu'il n'existe pas d'«hommes de ménage»)…

Clichés au sens stylistique et stéréotypes comme représentations partiales de la réalité se superposent souvent même s'il vaut mieux les distinguer d'un point de vue théorique. L'on s'intéressera ici plus particulièrement aux stéréotypes comme représentation de certains groupes sociaux ou ethniques.

Analyse et critique

Clichés et stéréotypes sont généralement considérés négativement comme des obstacles à une pensée nuancée, donnant une image biaisée et partiale de la réalité. Et les participants citeront certainement avec ironie un grand nombre de ces idées reçues, notamment sur les différents groupes ethniques.

Un peu de réflexion fait cependant rapidement apparaître qu'il est impossible de se débarrasser complètement de toute forme de cliché ou stéréotype. Soumettons ainsi aux participants un petit questionnaire (ci-dessous: «D'accord/pas d'accord») composé de cinq affirmations avec lesquelles ils seront invités à marquer leur accord ou au contraire leur désaccord. On dépouillera ensuite les réponses à ce questionnaire en demandant aux participants de justifier leurs réponses: on relèvera alors les éventuelles approximations dans ces réponses en s'appuyant notamment sur les encadrés qui se trouvent à la suite de ce questionnaire .

D'accord/pas d'accord?

Les oiseaux volent grâce à leurs ailes
d'accord pas d'accord
La pizza est un plat italien
d'accord pas d'accord
Les grandes villes sont plus polluées aujourd'hui que dans le passé
d'accord pas d'accord
Chinois et Japonais parlent des langues apparentées
d'accord pas d'accord
L'eau bout à 100° centigrades
d'accord pas d'accord

 

Les oiseaux volent grâce à leurs ailes

Sauf les poules, les autruches, les manchots ou les kiwis de Nouvelle-Zélande.


La pizza est un plat italien

Il serait plus correct de dire que la pizza est un plat d'origine italienne puisqu'aujourd'hui on en mange un peu partout dans le monde, et que la consommation aux États-Unis doit être largement supérieure à celle en Italie. Enfin, on signalera que plusieurs pays se disputent l'invention de la pizza, même si l'on admet généralement qu'elle a pris sa forme actuelle à Naples au 18e siècle.


Les grandes villes sont plus polluées aujourd'hui que dans le passé

C'est discutable, car cela dépend certainement des villes envisagées mais également du type de pollution considérée. Les grandes villes de l'ouest européen sont ainsi moins polluées que par le passé à cause de l'abandon du chauffage au charbon et du déplacement ou de la transformation des industries les plus polluantes comme la sidérurgie.


Chinois et Japonais parlent des langues apparentées

C'est faux. Ce sont deux langues très différentes même si le japonais utilise pour une partie de son écriture des caractères issus du chinois. Le japonais est souvent considéré comme un isolat linguistique, c'est-à-dire qu'on ne peut pas le relier à d'autres langues vivantes.


L'eau bout à 100°

Pour autant que la pression soit d'une atmosphère, ce qui est généralement le cas dans votre cuisine… Mais dans une marmite sous pression (ou autocuiseur), la température montera à 120° avant que l'eau ne bouille. En revanche, au sommet de l'Everest où la pression est plus faible, l'eau bout déjà à 72°C.


Ces quelques exemples devraient suffire à montrer que nous recourons tous à des stéréotypes dans nos réflexions quotidiennes. Essayons à présent de préciser d'abord pourquoi nous procédons de cette manière et ensuite quels sont les erreurs et les dangers éventuels liés à ces stéréotypes.

Pour répondre à la première question, partons du premier exemple, celui des oiseaux dont les ailes leur servent en principe à voler. Pourquoi raisonnons-nous de cette manière? En fait, lorsqu'on nous demande de réfléchir sur les oiseaux, nous prenons un exemple d'oiseau comme modèle, comme prototype, et cet exemple sera plus facilement un moineau ou une hirondelle qu'une poule ou un manchot[2]: c'est pour cela que la phrase «Pierre a été renversé par un oiseau» nous paraîtra étrange si l'on ne nous précise pas qu'il s'agissait d'une autruche dont on sait par ailleurs qu'elle peut peser jusqu'à cent cinquante kilos. En termes logiques, on dira donc qu'au lieu de considérer l'ensemble, on a tendance à réfléchir sur un seul élément de cet ensemble.

Erreurs de raisonnement

On remarquera que cette manière de raisonner, qui est tout à fait spontanée, n'est pas nécessairement fausse: dans la plupart des cas, les ailes des oiseaux leur servent effectivement au vol. Néanmoins, on voit aussi que ce genre de raisonnement est toujours menacé par une fausse généralisation.

L'erreur de raisonnement est cependant difficile à débusquer dans la mesure où l'affirmation s'appuie sur un exemple ou même plusieurs exemples manifestement vrais. Ainsi, le stéréotype selon lequel «les Anglais sont roux» s'appuie sur une observation partiellement vraie: la proportion de roux est vraisemblablement plus importante en Angleterre que dans d'autres pays européens, mais, s'il est évident que tous les Anglais ne sont pas roux, il est beaucoup plus difficile de dire si une majorité d'entre eux le sont (plus de 50% de la population) ou s'il s'agit seulement d'une minorité plus importante cependant que dans d'autres pays.

Une deuxième erreur de raisonnement apparaît facilement lorsqu'on considère l'item concernant les langues chinoise et japonaise. Si certains ont répondu qu'il s'agissait de langues apparentées, ils ont alors été victimes d'une fausse analogie: cela consiste à postuler sur base d'une seule analogie entre deux «objets» (ou deux éléments quelconques) un grand nombre d'autres analogies ou correspondances. Pour les Occidentaux, Chinois et Japonais sont des asiatiques, de race «jaune», et ils risquent d'en conclure trop facilement qu'ils doivent se ressembler sur un grand nombre de points (comme la langue parlée). Ainsi encore, beaucoup d'Européens croient que les Turcs parlent l'arabe (ou une langue apparentée) sous prétexte que ces deux populations sont (majoritairement) musulmanes et habitent des régions voisines.

Une troisième erreur, qui peut apparaître dans les réponses aux items concernant la pizza ou l'ébullition de l'eau, consiste à ne pas tenir compte des conditions historiques, géographiques, sociales ou locales qui sont éminemment variables et dont dépend la valeur de vérité de la plupart de nos certitudes: ce qui est vrai à un moment donné en un endroit donné n'est pas nécessairement vrai à une autre époque, dans un autre pays ou dans une autre situation. On peut considérer qu'il s'agit là d'une forme de fausse généralisation, qui repose cependant sur une proposition vraie dans certaines conditions.

Stéréotypes et jugements de valeur

Les exemples considérés jusqu'à présent sont, on le constate facilement, relativement neutres alors que de nombreux clichés et stéréotypes véhiculent implicitement ou explicitement des jugements de valeur le plus souvent négatifs, notamment lorsqu'ils portent sur des groupes ethniques ou religieux. Désigner certaines personnes comme des «fanatiques» ou de «grands enfants», traiter des individus de «cons» ou d'«efféminés», qualifier certaines populations de «prétentieuses», de «fourbes» ou d'«hypocrites» sont autant de manières de stigmatiser ces personnes ou ces groupes.

Les concepts utilisés mêlent en effet une part de description objective (parfois fort mince ou carrément fausse) à une évaluation de nature essentiellement subjective[3]: ainsi, un qualificatif comme «bavard»renvoie à des comportements observables (le fait de beaucoup parler) mais contient également un élément clairement dépréciatif (ce comportement serait synonyme de superficialité).

Reprenons ici quelques exemples de stéréotypes cités par les participants, et soulignons avec eux la dimension évaluative et subjective des termes (ou concepts) utilisés: dans une affirmation comme «les Français aiment faire grève», il y a (au moins) une double évaluation, ce mode de revendication sociale étant jugé négativement, et le plaisir éventuel qu'on peut y trouver («aimer») étant considéré comme égoïste et illégitime (à l'inverse, le travail est implicitement valorisé).

Ainsi, le danger des clichés et des stéréotypes réside sans doute moins dans leur faible valeur de vérité que dans leur dimension dénigrante et dépréciative à l'égard de certains groupes, populations ou minorités.

Racisme et stéréotypes

Clichés et stéréotypes sont-ils une forme de racisme? Posons également la question aux participants en reprenant quelques-uns des exemples qu'ils auront pu citer précédemment.

Vraisemblablement, les appréciations varieront selon les propositions retenues et selon les individus. Ainsi, il est clair que l'on est plus sensible aux stéréotypes qui portent sur notre groupe d'appartenance (ou un de nos groupes d'appartenance[4]) que sur d'autres groupes. Tout le monde rit des blagues belges… sauf les Belges qui se sentent évidemment dénigrés et humiliés par ces clichés répétés sur leur supposée bêtise. Néanmoins, comme d'aucuns le préciseront sans doute, il s'agit là de propos humoristiques sans réelle portée, et personne jusqu'à présent n'a voulu instaurer une quelconque discrimination à l'égard de cette population!

Mais l'on comprend facilement que, même en matière d'humour, il y a tout un éventail de stéréotypes depuis ceux qui portent le moins à conséquence jusqu'aux propos carrément racistes. La portée de ces propos dépend évidemment du contexte où ils apparaissent: un Juif racontant une histoire juive ne sera pas soupçonné d'antisémitisme, mais toute autre personne risquera bien de l'être. Dans une perspective similaire, on peut toujours se demander si une blague sur les «blondes» et leur supposée bêtise est sans réelle portée — personne n'a l'intention d'exercer la moindre discrimination à leur égard — ou s'il s'agit d'une attaque indirecte contre l'ensemble des femmes (les blondes étant prises comme l'archétype du genre), trahissant ainsi une forme plus ou moins accentuée de sexisme.

Semblablement, la perception d'un stéréotype peut grandement varier selon les personnes, les époques, les lieux et les points de vue. Ainsi, la marque de chocolat en poudre Banania a réalisé pendant la Première Guerre mondiale une célèbre publicité montrant un tirailleur sénégalais souriant à grandes dents et déclarant «Y'a bon Banania»: l'intention des concepteurs de cette affiche n'était pas dénigrante puisqu'il s'agissait notamment de saluer l'aide des troupes coloniales à l'effort de guerre français. Néanmoins, les connotations infantilisantes et paternalistes (les Noirs seraient des grands enfants, toujours souriants, incapables de parler correctement et bien contents de ce que leur offre généreusement la France…) sont bientôt apparues aux yeux de nombreuses personnes et ont suscité des critiques de plus en plus vives, entraînant des transformations progressives de cette publicité et, en particulier, l'effacement de la formule «Y'a bon Banania».

La discussion révélera certainement des différences de sensibilité, certains stéréotypes apparaissant comme anodins aux uns mais beaucoup plus graves aux autres. Il s'agira sans doute moins pour l'animateur de décider si tel ou tel cliché est effectivement dénigrant pour l'un ou l'autre groupe que de faire prendre conscience aux participants des différences de points de vue et de sensibilité entre les groupes ou les individus.

Images et stéréotypes

L'exemple de la publicité de Banania révèle par ailleurs l'importance des images et des médias audio-visuels dans la diffusion de clichés et de stéréotypes racistes, sexistes ou autres. Quelques exemples recueillis ici et là permettront de nourrir la discussion.

La question se posera sans doute alors de la manière d'interpréter ces images qui recourent à un autre moyen de communication que le langage verbal. L'image en effet montre le plus souvent des faits singuliers mais n'énonce pas apparemment des affirmations générales comme celles considérées jusqu'à présent: comment peut-on dire alors que certaines images sont stéréotypées?

On remarquera d'abord que l'image est souvent accompagnée de commentaires (écrits ou oraux) comme c'était le cas pour la publicité Banania: image et texte s'associent alors de façon indissoluble pour induire certaines significations (ou connotations[5]) chez le spectateur. Comme on l'a vu, le texte «en petit nègre» est immédiatement dévalorisant, mais il doit être accompagné de l'image pour produire un tel effet: en effet, le même texte sur le portrait d'un quelconque poilu (un soldat français de la Première Guerre mondiale) aurait paru incongru et absurde. L'image a bien une valeur discursive qu'on pourrait traduire ici de la manière suivante: «C'est un tirailleur sénégalais qui dit…»

La «lecture» de l'image n'est cependant pas toujours aisée car elle ne fait pas l'objet d'une codification similaire à celle de la langue: un rôle important est en effet laissé au spectateur qui va procéder à une série d'inférences plus ou moins vraisemblables en fonction de ses propres connaissances, valeurs et préjugés. Ainsi, l'interprétation de l'affiche Banania n'aura pas la même portée si l'on pense que le personnage représente un «tirailleur sénégalais» (qui faisait partie d'un corps militaire aujourd'hui disparu) ou bien un «Noir» ou un «Africain»: dans ce cas-ci, la généralisation risque bien de conforter une image particulièrement stéréotypée de ces populations.

Quelques exemples choisis notamment dans le domaine de la publicité pourraient nourrir la réflexion des participants sur ce point. Ainsi l'on trouvera facilement des publicités où des ménagères se plaignent que les produits ordinaires de lessive font déteindre les vêtements ou que leur linge n'est pas aussi blanc qu'il ne devrait l'être… Ici non plus, il ne s'agira pas d'imposer une interprétation unilatérale de ce genre de publicités, et l'on attirera plutôt l'attention sur le rôle actif des spectateurs dans la réception de ces messages: certains seront sans doute sensibles au caractère normatif de ces publicités — ce serait le rôle des femmes de faire la lessive et autres tâches ménagères, et la blancheur du linge devrait être une de leurs ambitions essentielles dans la vie —, alors que d'autres n'y verront que le reflet plus ou moins caricatural d'une situation de la vie quotidienne.

On attirera néanmoins l'attention des participants sur une caractéristique importante qui influe de façon décisive sur l'interprétation de ce type d'images, à savoir leur caractère répétitif: si, comme on l'a vu, clichés et stéréotypes procèdent souvent de généralisations abusives, la répétition des mêmes images ou d'images relativement similaires risque bien d'induire ce genre de généralisations et de favoriser la diffusion de stéréotypes sociaux ethniques ou sexués. Si une publicité mettant en scène une ménagère consciencieuse n'est pas en soi très significative, la répétition indéfinie de ces publicités (ou de publicités du même genre) «fonctionne» comme une norme implicite pour ceux et celles qui les regardent quotidiennement. De façon similaire, la multiplication des clips de rap américain mettant en scène des Noirs violents, trafiquants de drogue, conduisant de grosses voitures et entourés de jeunes femmes en bikini, constitue un cliché de et pour la jeunesse noire.

Cliché ou pas?

Les discussions qui précèdent devraient permettre de mettre en évidence deux éléments importants:

  • les clichés et stéréotypes ne peuvent pas être déterminés avec exactitude et forment plutôt un continuum avec la pensée ordinaire: si certains exemples de clichés sont facilement reconnus par tous, notamment parce qu'ils sont éloignés dans le temps et dans l'espace (comme la publicité Banania), il y a beaucoup d'autres représentations et propositions qui prêtent beaucoup plus à discussion;
  • clichés et stéréotypes sont perçus négativement, mais nous percevons beaucoup plus facilement les stéréotypes dans la pensée d'autrui que dans nos propres réflexions; par ailleurs, nous sommes beaucoup plus sensibles aux stéréotypes qui portent sur notre groupe d'appartenance que sur ceux qui affectent d'autres groupes et d'autres personnes[6]; on soulignera enfin à ce propos la diversité des groupes qui peuvent se plaindre d'être, dans une mesure plus ou moins grande, l'objet de stéréotypes, dévalorisants ou non.

Retour sur le film

Après cette réflexion critique sur les clichés et stéréotypes, revenons à la Première Étoile et demandons aux participants s'ils se souviennent de certains clichés présents dans le film. Cela ne signifie pas que le film conforte de tels clichés: il peut au contraire les souligner de manière à les ridiculiser ou à les dénoncer; il peut également mettre en scène des personnages porteurs de certains stéréotypes mais qui apparaissent de ce fait comme des esprits bornés et obtus; certains clichés peuvent aussi être évoqués mais renversés ou infirmés par les événements racontés; enfin, de façon plus subtile, sans être soulignés ou explicités, des stéréotypes sont mis en question d'une manière ou d'une autre par le film et son auteur.

Listons par exemple au tableau les clichés et stéréotypes dont se souviennent spontanément les participants en leur demandant de préciser pourquoi à leur estime il s'agit de stéréotypes, quels sont les groupes ou les individus qui en sont l'objet, et quelle est la position de l'auteur à l'égard du stéréotype en cause: le critique-t-il? s'en moque-t-il? le dénonce-t-il comme une idée fausse? est-ce qu'il en montre par l'absurde la bêtise? ou bien au contraire reproduit-il plus ou moins consciemment l'un ou l'autre de ces clichés?

Demandons également aux autres participants leur opinion, et soumettons-leur une liste (dans l'encadré ci-dessous) de faits et d'événements du film où l'on peut déceler l'un ou l'autre cliché et qui sont susceptibles d'alimenter le débat.

Quelques événements et personnages du film

  1. Le générique nous montre des images des Antilles avec une chanson qui parle de «chaud soleil». On voit aussitôt après l'enseigne jaune d'une grande surface: «CRETEIL SOLEIL».
  2. Suzy, la femme de Jean-Gabriel discute avec une collègue et parle d'un travail possible à la Poste: «Fonctionnaire, c'est bien» répond la collègue.
  3. Sa collègue s'étonnant de la patience qu'elle a à l'égard de son mari, Suzy réplique en souriant: «Tu ne peux pas comprendre, je l'aime!»
  4. Jean-Gabriel téléphone à sa mère parce qu'il a oublié d'aller rechercher son fils Ludo à l'école. La grand-mère refuse, puis se tournant vers ses invitées affirme: «Tous ces mâles antillais, des bons-à-rien!».
  5. Manon demande à son père pourquoi eux, ils ne vont jamais faire du ski. Sa mère répond que c'est très cher la montagne. Jean-Gabriel réplique lui que «On n'y a jamais pensé… le ski, c'est culturel».
  6. Jean-Gabriel ayant expliqué qu'il ne distribue plus de prospectus pour OMO, ses enfants répliquent qu'ils pensaient que «OMO, c'est quand des hommes s'embrassent sur la bouche».
  7. Au café, Jean-Gabriel discute avec le patron et un client. En rigolant, ce dernier réplique: «le ski, c'est par pour les bronzés!»
  8. Pendant ce temps, le cafetier reverse le contenu de deux bouteilles et de quelques verres dans une autre bouteille.
  9. Yan, l'aîné des enfants, se fait charrier par deux copains à qui il a annoncé qu'il partait à la montagne. L'un d'eux affirme, rigolard et menaçant: «Faut pas sortir de la cité. C'est dangereux dehors!»
  10. Ludo raconte à son père qu'un autre élève lui a dit que «les Noirs, ils savent pas skier».
  11. Manon discute avec une copine au téléphone. Elle explique qu'elle doit se protéger du soleil «parce qu'à 35 ans, on sera vieilles».
  12. Jean-Gabriel va trouver son copain Jojo pour lui emprunter sa caisse. Il passe devant plusieurs autos «customisées» et flamboyantes. Jojo est insatisfait de ses baffles parce qu'il y a un souffle…
  13. Évoquant les vacances à la montagne, Jojo commence par dire que «c'est bien une idée de nanas!»
  14. Jean-Gabriel cherche de l'argent par n'importe quel moyen. Il fait la quête pour soi-disant l'Afrique du Sud.
  15. Jean-Gabriel recueille sur son palier des affaires de ski qui ont déjà servi. Les enfants n'en veulent pas parce que «c'est moche».
  16. Jean-Gabriel veut offrir à sa femme Suzy un appareil à raclette. Elle lui annonce qu'elle ne part pas. Il essaie de la convaincre en affirmant qu'il est incapable de se débrouiller avec «la bouffe, le linge, la vaisselle…». Elle lui réplique: «Tu vas apprendre vite!»
  17. Au salon de coiffure, Bonne-Maman suscite une vive discussion sur le ski. Une cliente déclare que «la montagne, c'est blanc de blanc». Puis une autre s'en prend aux Antillais parce qu'ils sont «blancs dedans»!
  18. Après le voyage en voiture la nuit, la famille découvre le paysage de montagnes: «Que c'est beau!» s'exclament-ils.
  19. Madame Morgeot accueille avec son mari la famille Élisabeth. Visitant le chalet, elle demande successivement: «Vous n'avez pas peur d'avoir froid?», «Vous savez vous servir d'une gazinière?», «Vous n'oubliez pas d'aérer pour les odeurs de cuisine?»
  20. Monsieur Morgeot dit à sa femme qu'il vient de découvrir qu'elle était raciste. Elle se défend. Il réplique que le plus grave, «c'est qu'ils vont nous manger tout cwus!»
  21. Yan croise une jeune fille (Juliette) avec des copains. Ceux-ci imitent des cris d'animaux.
  22. Plus tard, Juliette demande à Yan pourquoi il ne skie pas. Il réplique qu'il a cassé sa planche de surf. Et puis lui, il est «plutôt basket».
  23. Bonne-Maman discute avec Madame Morgeot et explique que, lorsqu'elle est arrivée en France, elle fut étonnée de voir de la «fumée» sortir de sa bouche. Madame Morgeot répond qu'en effet, il n'y a pas de neige en Afrique.
  24. Bonne-Maman va avec Manon à l'église du village de montagne.
  25. Au café du village, un client explique que «ça fait longtemps que les Noirs, ils n'ont plus de chaînes». Puis, quand Jean-Gabriel demande un «petit noir», le patron ne comprend pas. Ensuite, Jean-Gabriel demande: «Je peux avoir le Turf», le patron ne réagit pas, Jean-Gabriel ajoute «s'il-vous-plaît», et le patron conclut «c'est mieux comme ça» en lui donnant le journal. Enfin, quand Jean-Gabriel s'attable pour lire le journal, le dépanneur le rejoint et lui demande s'il n'aurait pas un gri-gri ou un truc comme ça pour gagner aux courses.
  26. Au commissariat, Bonne-Maman s'explique avec un policier: elle, elle s'appelle Marie-Thérèse, mais son nom, c'est Louis-Joseph, alors que son fils, c'est Jean-Gabriel, mais son nom c'est Élisabeth.
  27. Le policier explique que ça va être difficile de retrouver «un Noir habillé de noir dans le noir».
  28. Monsieur Morgeot joue au scrabble avec Bonne-Maman. Il pourrait faire un scrabble avec le mot «négresse».
  29. Manon explique à son père qu'elle préférerait être blanche de peau. Plus tard, elle essaiera de se défriser les cheveux.
  30. L'animateur du concours de chant accueille Manon en l'appelant «la jolie princesse des îles». Il parle en outre d'une «candidate toute chocolat», et ajoute: «On en mangerait!»
  31. Manon chante «Que la montagne est belle» de Jean Ferrat.
  32. Jean-Gabriel est devenu commentateur de courses à la télévision. Il porte un costume, un nœud papillon et des lunettes. Il charrie un peu l'autre présentatrice (Audrey Pulvar qui interprète ici son propre rôle) en lui parlant de ses tenues élégantes.

Clichés et stéréotypes: quelques commentaires

1. Créteil Soleil

Le film répète ici un stéréotype qui associe les Antilles et les «îles» en général au soleil, stéréotype qu'on retrouve notamment dans toutes les publicités des agences de voyage. À l'inverse, la France globalement et Créteil en particulier sont réputés froids et pluvieux. Ces clichés ont évidemment une part de vérité, même s'il pleut également aux Antilles et si le film nous montrera des montagnes enneigées scintillantes sous le soleil.

Le réalisateur s'appuie donc ici sur un stéréotype immédiatement compris par les spectateurs pour faire passer un autre «message», à savoir le choc de l'exil subi par ceux qui comme Bonne-Maman ont quitté la Martinique pour venir en métropole en espérant y trouver une vie meilleure: la France n'est pas le paradis rêvé, et, en plus, il y pleut et il y fait froid!

On remarquera encore à ce propos que, dès que nous devons penser deux «objets», nous les contrastons souvent de façon simplificatrice (et donc stéréotypée). Ainsi, le contraste entre le soleil et la pluie nous permet d'opposer les «îles» et la métropole, mais également le sud et le nord de la France. Et si l'on demandait à un habitant du Nord de caractériser le climat britannique, il le trouverait sans doute extraordinairement pluvieux! Il s'agit, on le voit, d'une «économie» de la pensée qui nous permet d'avoir des images caractéristiques de réalités différentes. Sans contraste, il nous est difficile sinon impossible de différencier les choses, et, pour qui n'y habite pas, rien ne distingue vraiment des départements voisins comme la Creuse et la Corrèze, ni même des pays comme le Cameroun et le Gabon.


2. La fonction publique

Suzy estime que fonctionnaire, c'est bien, mais Jean-Gabriel pense manifestement le contraire…

Les avantages traditionnellement associés au métier de fonctionnaire sont la sécurité de l'emploi, le travail régulier, de multiples avantages en termes de congés, de maladie et de retraite (par rapport aux salariés du privé), une charge moindre de travail que dans d'autres métiers… Les désavantages seraient un travail sans grand intérêt, l'incompétence des chefs, l'obsession du règlement, un métier particulièrement routinier et de faibles espoirs d'avancement et de réussite professionnelle. Précisons immédiatement qu'il s'agit là de stéréotypes.

Stéréotypes qui sont anciens puisqu'au début du 19e siècle déjà, Honoré de Balzac faisait un portrait acide des Employés dont il comparait notamment la vie à celle d'huîtres sur un rocher. On remarquera par ailleurs que les médias audio-visuels avec leur culte des «stars» concourent de façon importante à accentuer ce mépris pour les fonctionnaires, ce qui explique d'ailleurs que Jean-Gabriel rêve quant à lui de télévision et non pas de fonction publique…

On nuancera donc ce stéréotype en rappelant l'importance des fonctionnaires qui représentent plus de cinq millions de travailleurs en France et huit cent mille en Belgique. Ces fonctionnaires occupent des postes aussi différents qu'infirmiers, enseignants, pompiers, policiers, militaires, postiers, journalistes (à la télévision publique…), rédacteurs, comptables et employés de toutes sortes. Il serait évidemment absurde de prétendre que toutes ces fonctions sont sans intérêt et routinières, et qu'il est impossible d'y trouver le moindre épanouissement personnel.

Si personne ni aucun organisme n'est à l'abri par principe de la critique, il est clair qu'on ne saurait réduire l'ensemble de la fonction publique à l'image stéréotypée des fonctionnaires pris dans une routine paresseuse. De manière plus générale, on remarquera que l'on trouve dans pratiquement toutes les situations professionnelles un mélange de travaux réguliers d'un intérêt relatif, de contraintes multiples, notamment horaires, de situations de subordination (aux chefs mais aussi aux exigences du public ou de la clientèle), de paperasserie, de lourdeur dans les prises de décision, mais également de tâches plus créatives et plus épanouissantes.

Quant à la paresse, c'est un défaut qu'on attribue très généralement aux autres (notamment aux fonctionnaires), beaucoup plus rarement à soi-même…


3. L'amour…

Suzy aime son mari et lui pardonne tout. Ou presque tout. Il est assez rare qu'on considère l'amour comme un stéréotype, et l'on est plutôt porté à croire qu'il s'agit d'un sentiment profond, «irrationnel», incontrôlable, qui nous pousse irrésistiblement vers l'autre. Sans prétendre que tout est faux dans cette représentation, on remarquera néanmoins que cette conception est propre à l'Occident moderne et qu'elle a notamment été largement propagée par la littérature (Tristan et Yseult, Roméo et Juliette de Shakespeare, La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, etc.) et aujourd'hui le cinéma et la télévision. Dans beaucoup d'autres sociétés, on constate que l'amour est peu valorisé (il est même souvent considéré comme une passion ridicule) et notamment que le mariage, loin d'être laissé au choix de chacun, est organisé par le lignage ou la parentèle.

Dans notre société, on est supposé se marier par amour, par une libre inclination dans laquelle le calcul et l'intérêt n'auraient aucune part. Les sociologues proposent cependant une vision moins enchantée de nos amours en parlant notamment de «marché matrimonial»: loin de toute idée de «coup de foudre», ils remarquent que nous choisissons notre conjoint dans des milieux relativement proches, et qu'en matière de mariage, la mixité sociale est moins fréquente que l'homogamie (le mariage dans le même groupe social). Autrement dit, nous recherchons quelqu'un qui nous ressemble, qui a les mêmes goûts et les mêmes passions que nous parce qu'il nous ressemble et qu'il a reçu une formation, une éducation relativement proches des nôtres. Bien sûr, il ne s'agit là que d'une vérité statistique, et il y a des exceptions comme Suzy qui a choisi en particulier de ne pas tenir compte de la barrière «raciale» qui, quoi qu'on dise, reste aujourd'hui encore particulièrement forte.

Par ailleurs, il est facile de montrer que l'amour n'est pas exempt de tout calcul rationnel, plus ou moins intéressé. On n'aime pas quelqu'un uniquement pour son argent, mais un jeune homme riche, aisé, disposant d'argent et promis à un bel avenir, fera certainement plus facilement des «conquêtes» amoureuses qu'un chômeur du même âge mais condamné à vivre de maigres ressources. Au-delà de cet exemple caricatural, la vie d'un couple repose sur des évaluations multiples, quotidiennes qui peuvent conduire à des accommodements mais aussi à la rupture. Sur ce point, l'on voit que le film la Première Étoile montre que les choses sont plus complexes que ne le laisse à penser cette première affirmation de Suzy: la jeune femme aime sans doute, comme elle le dit, Jean-Gabriel, mais cela ne l'empêche pas d'évaluer son mari et de constater ses multiples défauts, à tel point d'ailleurs qu'elle envisage de se séparer de lui à cause de ses trop nombreuses promesses non tenues. Jean-Gabriel en est d'ailleurs tout à fait conscient puisqu'il va s'activer pour que les vacances ne soient pas un nouveau désastre. L'amour risque bien de rester un grand mot vide s'il ne s'accompagne pas de mille gestes qui en sont non seulement la preuve mais peut-être aussi la substance.

Enfin, on remarquera que l'amour est classiquement montré comme le destin premier et fondamental des femmes: c'est dans l'amour qu'elles trouveraient leur plein épanouissement comme la princesse trouvant son prince charmant. En revanche, les hommes devraient plutôt chercher leur accomplissement dans leur carrière professionnelle (sinon dans le viril métier des armes, même si la chevalerie est passée de mode…), l'amour apparaissant comme la récompense sinon comme un bénéfice secondaire de leurs importantes activités. Dans cette perspective, on peut penser que l'amour est, au moins pour une part, un stéréotype sexiste qui pousse les femmes à se sacrifier au nom de la passion comme le fait Suzy qui assume non seulement les tâches ménagères mais également les rentrées financières. L'égalité entre hommes et femmes progressant néanmoins dans notre société, Suzy comme d'autres n'est pas totalement dupe de l'amour qu'elle porte à son mari et va finalement le mettre face à ses responsabilités.


4. Les mâles antillais

Paresseux, les mâles antillais? Pas plus sans doute que la majorité des autres hommes. Un peu d'analyse sociologique est sans doute nécessaire pour nuancer ce stéréotype. Dans la plupart des sociétés, la réussite masculine est liée à la réussite professionnelle: les jeunes hommes ont donc généralement de grandes ambitions en la matière qui se révèlent souvent démesurées par rapport à la réalité du marché du travail. C'est le cas en particulier pour les plus pauvres, les moins qualifiés et les moins dotés scolairement qui n'ont d'autres choix que des métiers pénibles, peu gratifiants sinon complètement dévalorisés. Ils peuvent alors être tentés de refuser de tels emplois et de se contenter d'allocations de subsistance en recherchant souvent d'autres sources de revenus dans une économie parallèle, sinon dans l'illégalité. C'est ce que fait d'ailleurs Jean-Gabriel qui consacre une part sans doute importante de son argent à jouer au PMU.

En revanche, les femmes comme sa mère Marie-Thérèse ou sa femme Suzy, par leur éducation, mettent en général (il y a des exceptions bien sûr…) moins de fierté ou d'orgueil dans leur réussite professionnelle et acceptent donc plus facilement des tâches dévalorisées comme le nettoyage ou le travail de caisse en magasins. En outre, lorsqu'elles ont des enfants, elles accepteront plus facilement la nécessité d'accepter n'importe quel travail, trouvant sans doute une plus grande gratification dans leur rôle parental que les hommes, plus attachés à leur réussite personnelle.

Enfin, cette réalité sociologique, qui ne vaut pas uniquement pour les Antillais mais pour tous les groupes socialement défavorisés, ne constitue qu'une tendance statistique, qui n'est même pas nécessairement majoritaire. Ici aussi, le film montre comment Jean-Gabriel prend finalement ses enfants en charge pendant les vacances et se résout à postuler un emploi à la Poste.


5. Le ski…

La mère souligne que la montagne, cela coûte cher. C'est sans doute vrai même s'il faut également reconnaître que c'est relatif. À l'origine loisir de la bourgeoisie, le ski s'est démocratisé à partir des années 1960, et, si certaines stations sont toujours aussi «huppées», d'autres sont plus «populaires». L'école a également favorisé la démocratisation de ce sport en proposant à de nombreux enfants et adolescents des formules de voyages collectifs permettant d'abaisser le prix du séjour. Bien entendu, tout cela n'empêche pas que les vacances à la montagne restent trop coûteuses pour de nombreuses familles défavorisées.

La remarque de Jean-Gabriel révèle également une différence de perception (ou de présentation) des choses puisqu'il affirme que le ski, c'est une affaire de culture. Comme père et mari, il a manifestement honte d'avouer qu'il est «pauvre», trop pauvre en tout cas pour payer des vacances à la montagne à ses enfants. Sa dénégation révèle ainsi que, dans notre société, la pauvreté est vécue comme un stigmate, une «tare» ou une forme de déshonneur. Jean-Gabriel préfère alors prétendre que c'est une question de «culture», c'est-à-dire d'habitudes ou de style de vie. Mais dans son cas, c'est bien une question d'argent, et il aura toutes les difficultés à tenir sa promesse...


Les commentaires présentés ici (d'autres sont disponibles dans le dossier imprimé) ne doivent bien sûr pas être considérés comme des modèles mais sont plutôt présentés ici comme des pistes de discussion, notamment si l'animateur s'adresse à un public peu familier avec ce type de réflexion.


1. L'animisme est une catégorisation largement popularisée par l'ethnologie au 20e siècle pour désigner la croyance en des esprits censés animer les hommes mais également des animaux et d'autres éléments naturels. Deux raisons au moins amènent à critiquer cette notion: il s'agit d'un grand fourre-tout qui met dans le même sac toutes les croyances religieuses de populations extrêmement différentes; par ailleurs, ces croyances sont associées à un état jugé «primitif» (dans un sens implicitement péjoratif) de civilisation. Pour une redéfinition plus restrictive et critique de l'animisme (mais également du totémisme), on pourra se reporter à l'ouvrage de l'anthropologue Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

2. Voir par exemple à ce propos Françoise Cordier, Les Représentations cognitives privilégiées. Typicalité et niveau de base, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993.

3. Le philosophe Hilary Putnam propose d'appeler ce genre de notions des «concepts éthiques épais» (thick ethical concepts) parce qu'il est pratiquement impossible de dissocier les deux dimensions descriptive et prescriptive (ou évaluative): c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ceux qui utilisent de tels concepts ont l'impression de porter des jugements objectifs alors que ceux qui en sont l'objet en perçoivent surtout l'aspect dénigrant (ou plus rarement valorisant). (Hilary Putnam, Fait/Valeur : la fin d'un dogme et autres essais, éditions de l'Éclat, 2004, éd. or. The Collapse of the Fact/Value Dichotomy, 2002).

4. Dans les sociétés modernes caractérisées par leur complexité, les individus relèvent en général de plusieurs groupes d'appartenance dont ils peuvent se sentir plus ou moins solidaires. Ainsi, une femme peut être cadre et d'origine immigrée et se définir par (au moins) trois appartenances différentes.

5. Pour rappel, les connotations désignent des significations secondes, indirectes, dérivées, plus ou moins subjectives: dans le cas de Banania, la signification dénotée du message était de nature publicitaire, tandis que les stéréotypes raciaux relevaient de la connotation.

6. Les blagues constituent un important véhicule de stéréotypes. En même temps, elles sont souvent perçues de façon ambivalente à cause de leur caractère humoristique. Il est ainsi intéressant de visiter les sites web de «blagues» qui sont regroupées en grandes catégories qu'on peut considérer comme autant de stéréotypes plus ou moins répandus, plus ou moins dénigrants. Parmi les catégories de blagues, on relève notamment celles sur les Belges, les Suisses, les Écossais, les blondes, les brunes, les belles-mères, les femmes, les Noirs, les cannibales (toujours noirs…), les Juifs, les Corses, les Américains, les prostitué(e)s, les fous, les paysans, les fonctionnaires… On remarquera que, même sur ces sites (du moins les francophones), certaines catégories ne sont pas reprises telles quelles (sauf exception), sans doute par peur d'accusations de racisme: c'est le cas en particulier des Arabes, des homosexuels et des handicapés qui, dans la vie courante, sont pourtant l'objet de nombreuses blagues souvent de mauvais goût.

Un dossier pédagogique complémentaire à l'animation proposée ici est présenté à la page suivante.
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