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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
La Domination masculine
de Patric Jean
France, 2009, 1h43


L'analyse proposée ici dans le cadre de l'éducation permanente s'adresse à tous les spectateurs et spectatrices qui souhaiteront approfondir les réflexions suscitées par la vision du documentaire de Patric Jean, La Domination masculine.

Le film

L'égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans la loi. Pourtant, dans la réalité, il demeure bien des inégalités parfois insoupçonnées. C'est ce que Patric Jean s'attache à démontrer dans son documentaire, La Domination masculine (qui emprunte son titre à un ouvrage du célèbre sociologue français Pierre Bourdieu, publié aux éditions du Seuil en 1998) où les rires et les sourires laissent parfois la place à des mouvements d'indignation.

Des différences entre hommes et femmes, lesquelles sont inscrites dans les gênes ? Lesquelles résultent de l'éducation et du conditionnement social ? Pour répondre à ces questions, le réalisateur donne la parole à des experts mais aussi à la femme et à l'homme de la rue, qui, chacun à sa manière, interrogent nos représentations. Du rayon « jouets » des supermarchés aux centres d'accueil pour victimes de violence familiale, Patric Jean explore toutes sortes de situations révélatrices de la condition des femmes… et de celle des hommes.

Ce documentaire, à voir par un large public, suscitera immanquablement les réactions des spectateurs et spectatrices et servira idéalement de support à une réflexion approfondie sur les rôles masculins et féminins. Il permettra sans doute d'induire un dialogue authentique entre entre hommes et femmes, de tous âges et de toutes conditions.

Qu'est-ce que la domination ?

On trouvera ci-dessous un texte proposant une série de distinctions conceptuelles qui permettent de décrire plus précisément les différentes formes de domination.

Ces distinctions ne sont pas classiques en sociologie et sont même (relativement) originales. Les sciences humaines sont en effet obligées de construire leurs concepts en fonction des réalités abordées, et leur valeur dépend essentiellement de leur caractère opérationnel. Les notions proposées[1], qui sont essentiellement descriptives (et non explicatives), doivent ainsi permettre de distinguer des faits sociaux qui peuvent être facilement confondus mais qui relèvent de «logiques » relativement différentes et dont l'explication ne se résume sans doute pas à un principe comme la «domination » ou « la persistance de préjugés séculaires ».

Après avoir pris connaissance de ces distinctions, les participants seront invités à les utiliser pour analyser une série de situations sociales où l'on relève des différences, inégalités et/ou dominations entre les genres masculin et féminin. L'objectif de cette description sera de faire prendre conscience aux participants, d'une part, de la diversité des phénomènes sociaux regroupés sous le terme général de « domination », et, d'autre part, de la multiplicité de ces phénomènes qui ne se réduisent pas à la seule domination « masculine ».

L'interprétation de certains faits peut d'ailleurs donner lieu à débat et discussion : ainsi, si l'on considère la répartition inégale des tâches domestiques, il n'est pas nécessairement facile de décider s'il s'agit d'une forme de domination, d'une relation de pouvoir, d'une inégalité ou même d'une simple différence. Il ne s'agit pas de faire rentrer à tout prix les faits dans une catégorie mais de prendre conscience de la complexité de ces phénomènes : s'il y a sans doute peu d'hommes qui ordonnent à leur épouse de faire la vaisselle, comment se fait-il que ce soient les femmes qui prennent cette tâche en charge ? Si l'on pense par exemple qu'il s'agit d'un fait de domination — c'est-à-dire d'une situation qui limite les choix de l'individu dominé —, de quelle situation s'agit-il exactement ?

On peut penser notamment qu'il s'agit là de la domination d'un modèle traditionnel[2] des rôles masculin et féminin. Mais il faut aussi prendre en compte la situation socioéconomique présente des femmes beaucoup plus souvent contraintes au travail à temps partiel : dans une telle situation, les tâches ménagères leur reviennent « naturellement » ; en revanche, si l'homme se retrouve sans emploi, cela portera atteinte douloureusement à son image de « travailleur », et les tâches ménagères risquent apparaître comme un rappel de sa « déchéance », ce que sa compagne aura tendance alors à lui éviter.

Dans un second temps, les lecteurs et lectrices pourront donc rechercher par eux-mêmes ou par elles-mêmes des explications possibles de ces différences. Bien entendu, seules des enquêtes et analyses approfondies pourraient fournir des explications réellement fondées d'un point de vue sociologique, mais l'objectif sera surtout ici de bien distinguer entre les faits observés et leur éventuelle explication qui est beaucoup plus problématique.

Des distinctions à faire

Le film de Patric Jean s'appelle la Domination masculine : mais tous les faits qu'il relève doivent-ils être interprétés comme des faits de domination ? N'y a-t-il pas des nuances à apporter à ce terme général ?

Différences

Entre deux individus (mais également entre deux objets ou deux événements), il y a une multitude de ressemblances mais aussi de différences. Ainsi, entre deux personnes, on peut constater des différences de taille, de poids, d'âge, de niveau scolaire, de teinte de cheveux, de religion, de sexe, de nationalité, de langue, etc.

Certaines de ces différences peuvent paraître plus importantes que d'autres et deviennent alors des signes d'identité : dans les sociétés occidentales, la profession est généralement considérée comme particulièrement significative, contrairement par exemple à la couleur des cheveux. Pour certains critères comme l'âge, on donne en outre une importance particulière à certains seuils, par exemple celui de la majorité ou de la retraite (alors qu'on ne fera guère de différence entre des personnes ayant l'une trente et un ans et l'autre trente-deux ans).

Il faut par ailleurs prendre en compte la dimension subjective de l'identité qui reste une question d'appréciation personnelle : pour un individu ayant des préjugés racistes, une personne d'origine arabe sera perçue essentiellement comme « arabe » alors que cette personne se considérera peut-être d'abord comme un ingénieur quadragénaire avec de hauts revenus… Alors que les différences constituent généralement des traits objectifs, l'identité est donc, pour une grande part, subjective : cette identité peut être affirmée par la personne elle-même (qui se définira par exemple d'abord par sa profession ou par sa religion ou par tout autre critère) ou lui être assignée par d'autres personnes ou la société environnante.

Enfin, toute différence n'implique pas une inégalité : on peut difficilement prétendre qu'être wallon, corse, breton, parisien ou alsacien donne une quelconque supériorité ou implique une infériorité par rapport à une autre appartenance régionale.

Inégalité

L'inégalité porte sur des différences (plus ou moins facilement) mesurables : ainsi, on peut constater facilement des inégalités de revenus en comparant les feuilles de paie ou les déclarations d'impôts des citoyens d'un même pays (il faudra cependant tenir compte de certains phénomènes cachés comme le travail « au noir », non déclaré qui n'apparaît pas dans les documents officiels).

Cependant, lorsqu'on compare deux individus entre lesquels existent de multiples différences, on ne peut considérer leur inégalité éventuelle qu'en se basant sur un seul critère à la fois : je peux constater que Jean est plus riche que Paul, mais celui-ci peut avoir un niveau scolaire supérieur au premier. La mesure de l'inégalité dépend donc toujours du critère utilisé et de la valeur qu'on lui accorde. Ainsi, les différences d'âge sont facilement mesurables, mais cette inégalité peut être appréciée très diversement : l'âge donne peut-être la sagesse, mais beaucoup échangeraient sans doute cette sagesse contre une jeunesse disparue ! Par ailleurs, si nombre de travailleurs se battent pour des augmentations salariales (qu'ils jugent évidemment importantes), certains prétendent que l'argent ne fait pas le bonheur, et d'aucuns prônent même la décroissance qui impliquerait une diminution des revenus de tous…

Par ailleurs, lorsqu'on mesure des inégalités, il faut prendre en compte la dimension statistique : il est rare en effet que l'on compare seulement des individus (sauf dans les réunions de famille…), et l'on s'attache bien plus aux inégalités entre groupes ou populations. Ainsi, on peut comparer les revenus de l'ensemble des cadres et celui de l'ensemble des ouvriers d'un même pays : on additionne tous les revenus des cadres qu'on divise ensuite par le nombre de cadres pour obtenir le revenu moyen des cadres, qui sera alors comparé avec le revenu moyen des ouvriers.

On néglige cependant alors les différences de revenus à l'intérieur de chaque classe (cadres ou ouvriers), et la vérité statistique ne correspond pas exactement à la réalité individuelle : ainsi, la taille moyenne des Hollandais est aujourd'hui une des plus grandes du monde (1,81m pour les hommes et 1,76m pour les femmes) alors que les Belges ou les Français sont un peu plus petits (1,75m pour les Français et 1,66m pour les Françaises), mais cela ne signifie évidemment pas qu'il n'y a pas de Hollandais de petite taille, ni que tous les Hollandais sont plus grands que les Belges ou les Français !

Toutes les inégalités ne sont pas « objectives », et certaines impliquent d'abord les représentations que l'on peut se faire des différents groupes humains : le racisme consiste de façon évidente à estimer que certains groupes sont inférieurs, nuisibles, stupides, dangereux, sales, voleurs… c'est-à-dire porteurs de qualités foncièrement négatives. On remarquera que ces représentations de nature subjective se traduisent aussi de façon objective à travers des opinions, des propos, des discours, des slogans, des affiches, des films, des reportages… qui contribuent à répandre ces préjugés. Il est donc possible d'avoir des mesures indirectes d'inégalités dans les représentations subjectives individuelles (les sondages d'opinion notamment constituent un tel instrument de mesure).

Enfin, l'inégalité ne signifie pas nécessairement la domination : la petite taille de Napoléon ne l'empêchait pas de commander des milliers d'hommes ! Plus sérieusement, on constate facilement qu'un instituteur européen est beaucoup mieux payé que son homologue d'Afrique noire, mais il serait évidemment absurde de prétendre que le premier exerce une domination sur le second. Et, même si l'on considère les inégalités à l'intérieur d'un même pays ou d'une même société, le fait qu'un médecin a en général des revenus plus élevés qu'un employé ne signifie pas qu'il le domine ni qu'il puisse lui imposer sa volonté.

Pour qu'il y ait domination, il faut que les personnes entrent d'une manière ou l'autre en relation : si l'employé a besoin du médecin pour se faire soigner, celui-ci ne lui laissera pas le libre choix de ses honoraires et il pourra prescrire ou refuser de prescrire certains médicaments demandés par son patient. Dans la relation entre le médecin et le patient, celui-ci est soumis — même si ce n'est pas de façon absolue — à la bonne volonté du médecin. Mais cette relation de domination est locale et temporaire (elle ne s'exerce que dans le cabinet du médecin) et n'a rien à voir avec une inégalité éventuelle de revenus : en panne de voiture dans une campagne reculée, le médecin sera à son tour soumis au bon vouloir d'un éventuel garagiste qui pourra par exemple lui imposer un tarif exorbitant parce qu'il aura été appelé la nuit ou le week-end !

Domination

La domination est une notion relativement difficile à comprendre, car elle ne se confond ni avec l'inégalité (comme on vient de le voir) ni avec le pouvoir ou l'autorité (qu'on examinera plus tard). De façon abstraite, on définira la domination comme une relation sociale où un individu ou un groupe possède un avantage qui lui permet de limiter les choix d'un autre individu ou d'un autre groupe.

Cette domination peut reposer sur les qualités personnelles de l'individu dominant : ainsi, dans un sport comme le tennis, on dira qu'un joueur en domine un autre parce qu'il l'empêche de déployer son jeu, de placer ses coups efficacement et finalement de gagner la partie. Mais le plus souvent la domination résulte de la situation générale inégalitaire où se trouvent les individus ou les groupes. Le cas le plus facile à comprendre est celui d'un marché économique où une multitude de petits producteurs, par exemple agricoles, font face à quelques distributeurs de grande taille se trouvant pratiquement en situation de monopole : dans une telle situation, les producteurs en concurrence les uns avec les autres devront baisser leur prix de vente car les distributeurs les menaceront facilement de faire jouer la concurrence soit au plan local soit même au plan international. Les distributeurs ne peuvent pas « ordonner » aux producteurs de vendre leurs marchandises à bas prix, mais ils ne leur laissent pas, comme on dit, le choix. Par leur taille, par leurs contacts géographiquement étendus, les distributeurs sont dans une position dominante car ils peuvent se fournir ailleurs, alors que les petits producteurs sont dans une situation dominée et n'ont pas les moyens de contourner les grandes firmes de distribution.

On remarquera que la domination est très rarement absolue et qu'elle varie généralement selon les lieux et les époques. Ainsi, en situation de plein emploi (comme ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses entre les années 1945 et 1975 environ), les salariés fortement demandés peuvent plus facilement négocier des hausses de salaire que dans une situation de chômage important où ils se retrouvent en concurrence les uns avec les autres face aux employeurs. Mais même dans ce cas, des organisations comme les syndicats peuvent imposer des salaires minimums et des conventions collectives qui déterminent les niveaux de salaires admissibles.

La domination peut être de nature économique mais également sociale ou institutionnelle : ainsi, dans le monde de l'école, les élèves sont en situation dominée par rapport aux enseignants et aux directions. L'institution scolaire détermine notamment le temps de présence des élèves à l'école, les cours qu'ils devront suivre, les activités auxquelles ils seront soumis. Ce sont également les enseignants et autres membres de l'école qui admettront ou non le passage dans la classe supérieure ou qui conseilleront éventuellement une réorientation. Ainsi, dans la plupart des sociétés modernes, les choix de vie des enfants et des adolescents sont fortement limités par l'obligation scolaire (au sens large) à laquelle ils sont soumis.

De façon plus informelle, on remarquera que tous les groupes sociaux exercent une domination sur les individus qui les composent. Les phénomènes de mode sont particulièrement éclairants de ce point de vue : personne ne nous empêche de nous habiller comme un aristocrate sous Louis XV ou comme un Indien des plaines d'Amérique, mais tout notre entourage, proche ou lointain, considérerait cela comme curieux ou ridicule, et cela suffit pour nous empêcher de nous accoutrer d'une pareille façon. De manière moins caricaturale, on comprend facilement qu'un adolescent a avantage à s'habiller comme les compagnons de son âge, et qu'une personne plus âgée hésitera à suivre les modes qui dominent aujourd'hui dans les cours d'école !

Généralement, les phénomènes de domination résultent donc moins de qualités individuelles que des situations sociales différentes dans lesquelles se trouvent les individus : si les situations environnantes sont inégalitaires, la domination à proprement parler implique une limitation de la liberté de choix. Comprendre de tels phénomènes implique donc une analyse (parfois complexe) de la situation globale où se trouvent les individus et des choix (différents) qu'ils peuvent effectivement faire.

Le pouvoir

Le pouvoir est la capacité pour un individu (ou un groupe) à imposer sa volonté à un autre individu (ou à un autre groupe). Être soumis au pouvoir implique une obéissance passive (ne pas s'opposer à l'autorité) ou active (agir selon la volonté du détenteur du pouvoir). Le pouvoir repose très généralement sur une forme de domination, mais toute domination n'implique pas un pouvoir : comme on l'a vu, un médecin est dans une relation de domination avec son patient qui se voit prescrire des soins dont il ne peut pas décider personnellement (ne serait-ce que par manque de connaissances médicales), mais le patient garde toujours la liberté de ne pas se soigner. La seule exception est celle des personnes qui, souffrant de troubles psychiques peuvent constituer un danger pour autrui ou pour elle-mêmes : dans ce cas, un psychiatre dispose du pouvoir de faire interner (temporairement) une telle personne.

Un autre exemple déjà cité permet encore d'éclairer la distinction entre pouvoir et domination : dans un match sportif, par exemple de tennis, l'un des adversaires est nécessairement dominant par rapport à l'autre, mais on ne peut pas dire évidemment que le premier exerce un pouvoir sur le second. En revanche, l'arbitre a un véritable pouvoir, car c'est lui qui décide si le coup est valide, si les règles sont respectées, et il peut même exclure le joueur qui contesterait agressivement ses décisions. On remarquera facilement que le pouvoir de l'arbitre (comme d'ailleurs celui de toute autre personne dans les sociétés démocratiques) n'est pas absolu : lui-même obéit à des règles, et son autorité est étroitement limitée au court de tennis ou au stade sportif.

Un exemple type de relation de pouvoir est la hiérarchie militaire : le général donne des ordres aux officiers qui les font exécuter par les soldats. Dans ce cas, on voit que la relation de pouvoir est indirecte (elle passe par toute la hiérarchie des officiers et des sous-officiers) mais néanmoins fort contraignante : la désobéissance à quelque niveau que ce soit pourra en effet être l'objet de sanctions ou de punitions. Par ailleurs, les ordres sont ici explicites et impliquent des actions positives de la part de subordonnés (se déplacer, monter la garde, cirer des chaussures…).

Dans de nombreuses situations cependant, le pouvoir n'implique pas que les subordonnés fassent quelque chose de précis mais plutôt qu'ils s'abstiennent de certaines actions condamnables : l'État impose ainsi le respect de ses lois qui comprennent notamment un grand nombre d'interdits (ne pas voler, ne pas tuer, ne pas dégrader les biens communs, ne pas fumer dans les lieux publics fermés, etc.). Ce qui distingue alors fondamentalement le pouvoir de la simple domination, c'est la capacité de contrainte et d'influence dont dispose le détenteur du pouvoir qui peut faire respecter sa volonté ou ses directives : il peut s'agir de la force dont dispose notamment l'État, mais également de la pression du groupe environnant (les parents, les amis, les collègues…), de la persistance de la tradition, de la puissance de la persuasion (notamment dans les régimes démocratiques où l'on vote en définitive pour le parti auquel on acceptera de se soumettre s'il gagne les élections…).

Le plus souvent, l'exercice du pouvoir implique donc une forme de consentement de ceux qui y sont soumis. Ainsi, les salariés d'une entreprise acceptent d'obéir aux ordres de leur directeur parce qu'en échange, celui-ci paie leurs salaires. Ainsi encore, les enfants obéissent généralement à leurs parents soit parce qu'ils les craignent, soit parce qu'ils veulent obtenir ou conserver leur amour ou leur affection. Et les élèves font les devoirs demandés par leurs enseignants (même s'ils sont ennuyeux…) parce qu'ils estiment que la réussite scolaire est importante.

Bien entendu, entre l'obéissance et la révolte qui renverse les dictateurs, il y a toute une nuance d'attitudes possibles : on obéit en partie, on désobéit en cachette, on respecte les consignes de façon minimale, on consacre le moins de temps possible aux tâches imposées, on négocie de multiples façons avec les responsables (soit de façon individuelle, soit en s'organisant collectivement)…

En synthèse

Toute différence n'implique pas inégalité, et toute inégalité n'entraîne pas une domination.

Enfin, le pouvoir, qui peut paraître tenir uniquement à la supériorité d'un individu sur l'autre, est par nature une relation sociale, une interaction où le consentement ou l'obéissance ne sont jamais totalement assurés et sont bien souvent l'objet d'une négociation implicite ou explicite, directe ou indirecte, partielle ou générale.

Dans les sociétés modernes, les individus se différencient par toute une série de caractéristiques ; ils occupent également des positions extrêmement diverses et remplissent des fonctions complexes et enchevêtrées. Il convient, lorsqu'on décrit ces multiples différences, de bien distinguer la nature de ces différences et des relations que les individus entretiennent les uns avec les autres. Des oppositions sommaires — comme riche/pauvre, puissant/faible, normal/anormal … — ne suffisent donc pas pour analyser la complexité des situations et des relations sociales.

Quelques faits à analyser

On trouvera ci-dessous une série de faits concernant la situation des femmes dans les pays occidentaux. Pour chacun d'eux, le lecteur est invité à préciser s'il s'agit plutôt d'une différence, d'une différence transformée en signe d'identité, d'une inégalité individuelle, d'une inégalité statistique entre groupes, d'une domination ou d'une relation de pouvoir. Plusieurs réponses sont possibles, une domination par exemple reposant très généralement sur une inégalité de positions. Le lecteur essayera ensuite de décrire l'ensemble de la situation en terme de différence, d'inégalité, de domination ou encore de pouvoir. Enfin, il pourra suggérer l'une ou l'autre explication pour ces différentes situations.

Des faits à analyser

Pour réduire la taille des colonnes, on a utlisé les abréviations suivantes :
DfI = différence individuelle
SId = signe d'identité
InI = inégalité individuelle
InS = inégalité statistique
Do = domination
Po = pouvoir, autorité
On entourera la réponse ou les réponses qui semblent les plus correctes.

Actuellement, les principales compétitions sportives ne sont pas mixtes, et les femmes affrontent des femmes, et les hommes d'autres hommes.

DfI SId InI InS Do Po

Aujourd'hui, les filles réussissent mieux à l'école, dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, sauf pour les études les plus longues et les titres les plus élevés.

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Le président de l'organisation patronale française (MEDEF) est une femme, Laurence Parisot.

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Certaines professions sont extrêmement féminisées c'est-à-dire que le nombre de femmes y est beaucoup plus important que celui des hommes: c'est le cas par exemple du métier d'enseignant (en Europe occidentale, on compte environ 80% d'institutrices pour 20% d'instituteurs) ou d'infirmière. D'autres professions, par exemple la médecine générale, sont en voie de féminisation, c'est-à-dire que le nombre de femmes y augmente de façon significative. Enfin, certaines professions semblent largement réservées aux hommes, comme les métiers de la construction ou l'informatique.

DfI SId InI InS Do Po

La publicité met en scène une majorité de jeunes femmes jugées particulièrement séduisantes: les top models. Il y a aussi des top models masculins sans doute moins présents dans la publicité. En revanche, les personnes âgées, grosses ou peu séduisantes ne sont pratiquement jamais mises en scène.

DfI SId InI InS Do Po

Des jeunes filles musulmanes revendiquent le droit de porter le voile non pas comme un signe de soumission mais comme une liberté à défendre ou à conquérir.

DfI SId InI InS Do Po

L'espérance de vie des femmes en Europe est aujourd'hui supérieure à celle des hommes: en Belgique par exemple, en 2009, elle était de 82 ans pour les femmes contre 77 pour les hommes; en France, de 84,5 pour les femmes et de 77,8 pour les hommes. Cet écart tend cependant à se réduire et est passé en Belgique de 6,27 années en 1998 à 5,28 en 2009, et en France de 4,6 à 3,6 sur la même période.

DfI SId InI InS Do Po

«En moyenne, les femmes de 20 à 74 ans consacrent beaucoup plus de temps que les hommes au travail domestique, de l'ordre de moins de 50% en plus en Suède à plus de 200 % en plus en Italie et en Espagne. À raison d'environ cinq heures ou plus par jour, c'est en Italie, en Estonie, en Slovénie, en Hongrie et en Espagne que les femmes accordent le plus de temps au travail domestique. Avec moins de quatre heures par jour, la Suède, la Norvège, la Finlande et la Lettonie se situent à l'autre extrême.» (Christel ALIAGA, «Comment se répartit le temps des Européennes et des Européens?», Population et conditions sociales, Eurostat, 2006)

DfI SId InI InS Do Po

Dans tous les pays européens, le taux d'emploi* des femmes est inférieur à celui des hommes. Leur chômage est également plus important. Par ailleurs, le taux d'emploi* varie grandement en fonction du niveau scolaire.
Par exemple en Belgique en 2009:


Femmes Hommes Total
Niveau scolaire bas (maximum enseignement secondaire inférieur)
Taux de chômage* 14.6% 13.1% 13.7%
Taux d'emploi* 30.1% 46.7% 38.6%
Taux d'activité* 35.3% 53.7% 44.8%
Niveau scolaire moyen (enseignement secondaire supérieur)
Taux de chômage 9.0% 7.4% 8.1%
Taux d'emploi 58.2% 72.1% 65.4%
Taux d'activité 64.0% 77.9% 71.2%
Niveau scolaire haut (enseignement supérieur universitaire ou non-universitaire)
Taux de chômage 4.6% 4.4% 4.5%
Taux d'emploi 79.4% 84.7% 81.9%
Taux d'activité 83.3% 88.6% 85.8%

* Note: «Le taux d'activité représente l'effectif total des forces de travail (personnes occupées ou chômeurs), soit la population active exprimée en pour cent de la population âgée de 15 à 64 ans.
Le taux d'emploi représente le nombre de personnes ayant un emploi (les personnes occupées) exprimé en pour cent de la population âgée de 15 à 64 ans.
Le taux de chômage représente le nombre de chômeurs exprimé en pour cent des forces de travail (personnes occupées et chômeurs).» source : http://statbel.fgov.be/

DfI SId InI InS Do Po
«Écarts de salaire hommes-femmes : les bas salaires pénalisés davantage»

D10* D20 D30 D40 D50 D60 D70 D80 D90
Salaire des hommes (2006) en euros 1607 1879 2065 2225 2397 2610 2928 3383 4217
Salaire des femmes (2006) en euros 945 1301 1538 1740 1935 2140 2386 2717 3259
Indicateur Equal Pay Day (écart salarial, H-F/H*100) 41,1% 30,8% 25,5% 21,8% 19,3% 18% 18,5% 19,7% 22,7%
Salaire masculin croissance 1999-2006 18,5% 19,1% 19,4% 19,2% 19,9% 20,9% 21,5% 21,7% 22,2%
Salaire féminin croissance 1999-2006 27,8% 24,7% 25,7% 25,9% 26,0% 26,7% 27,2% 28,7% 30,5%

«L'écart est en effet beaucoup plus important pour les bas salaires. En d'autres termes, le salaire des femmes exprimé en pourcentage du salaire des hommes est beaucoup plus faible pour les premiers déciles.
Dans le premier décile, une femme gagne en moyenne 41,1% de salaire en moins qu'un homme alors que dans le 9e décile l'écart se réduit à 22,7%.
Entre 1999 et 2006, le salaire des hommes a augmenté moins vite que le salaire des femmes tout le long de la distribution des salaires.» Source: FGTB (syndicat belge de tendance socialiste), Baromètre social, 2009.

* Note: «Si on ordonne une distribution de salaires, de revenus, de chiffres d'affaires..., les déciles sont les valeurs qui partagent cette distribution en dix parties égales. Ainsi, pour une distribution de salaires :
• le premier décile (noté généralement D1 ou D10) est le salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires ;
• le neuvième décile (noté généralement D9 ou D90) est le salaire au-dessous duquel se situent 90 % des salaires.» (d'après l'INSEE)

DfI SId InI InS Do Po

Rappel : on a utlisé les abréviations suivantes :
DfI = différence individuelle
SId = signe d'identité
InI = inégalité individuelle
InS = inégalité statistique
Do = domination
Po = pouvoir, autorité

L'exemple sportif

Il est parfois difficile de déterminer, en fonction des concepts proposés, de quel type de situation il s'agit exactement dans chaque cas. En outre, il faut également préciser quels sont les différents agents (ou types d'agents) en cause dans la situation envisagée, notamment dans les situations de domination et de pouvoir. Un seul exemple illustrera la complexité d'une telle analyse.

Les compétitions sportives, qui sont citées en premier dans notre tableau, restent un des derniers lieux des sociétés occidentales soumises à une stricte ségrégation sexuelle. À de rares exceptions près, hommes et femmes concourent dans des compétitions séparées. S'agit-il là d'une simple « différence » ? En fait, non. Il s'agit bien de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire : aucun sportif ne peut en effet transgresser cette ségrégation qui a force de loi.

Mais qui exerce alors ce pouvoir ? La réponse est sans doute évidente : ce sont les autorités sportives qui agissent au nom des règles établies. En la matière comme en d'autres, les sportifs sont soumis au pouvoir des autorités sportives qui imposent aussi bien la ségrégation sexuelle dans les différentes disciplines que des sanctions à l'encontre de ceux qui ont commis des infractions aux réglementations en vigueur.

Peut-on en l'occurrence parler de domination masculine ?

Il faudrait sans doute avoir des statistiques exactes sur la composition des différentes instances sportives, même si l'on peut supposer que les hommes y occupent majoritairement les plus hautes positions. L'on voit néanmoins que les règlements actuels sont un héritage du passé et des conceptions anciennes sur la « nature » supposée différente des hommes et des femmes, celles-ci étant supposées plus « faibles » physiquement (sinon mentalement) que leurs homologues masculins.

Aujourd'hui, toute modification de cette ségrégation, comme certaines féministes le proposent, se heurte à ces conceptions anciennes mais également à l'hostilité de nombreux sportifs et sportives. En effet, la division sexuée des épreuves diminue la concurrence à l'intérieur de chacune des épreuves puisqu'il y a moins de compétiteurs ou compétitrices. D'aucuns prétendront que les femmes seraient systématiquement « perdantes » mais il est certain que qu'un certain nombre de sportifs masculins en milieu de « classement » seraient battus par des sportives plus fortes qu'eux.

Si la ségrégation sexuelle relève bien d'un pouvoir exercé par les autorités sportives (qui ne sont pas en soi « masculines »), elle s'appuie également sur des représentations stéréotypées des genres qui supposent que les femmes sont naturellement plus « faibles » que les hommes et donc inférieures à eux. Ces stéréotypes sont sans doute des « signes d'identité » (au sens défini ici) masculine ou féminine, mais il sont aussi de façon très évidente des marqueurs d'inégalité : il ne s'agit pas d'une inégalité « objective » (comme les différences de salaires) mais d'une inégalité dans les représentations des différents groupes sociaux (comme c'est le cas pour les préjugés racistes ou ethniques).

Cet exemple un peu détaillé montre ainsi comment les différentes formes de domination se combinent, parfois de manière inextricable, dans les situations sociales concrètes où nous vivons quotidiennement.


1. Ces notions s'inspirent notamment de Max Weber et de sa distinction entre les trois types de domination, traditionnelle, charismatique et rationnelle (ou légale) (Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, pour la traduction française). On se souviendra également du chapitre de synthèse sur l'autorité dans l'ouvrage de Robert A. Nisbet, La tradition sociologique (Paris, puf, 1984, pour la traduction française).

2. C'est ce que que Bourdieu appelle l'habitus, c'est-à-dire l'intériorisation plus ou moins inconsciente du passé à travers notamment l'éducation, intériorisation qui se traduit par des manières d'être et de faire dont l'individu ne maîtrise pas l'origine: beaucoup de femmes ne supporteront pas par exemple un intérieur désordonné, perçu comme «sale» alors que ça ne dérangera pas leur compagnon. Cette perception est liée à la division de l'espace social entre un extérieur globalement «masculin» (le travail) et un intérieur (domestique) féminin. Le laisser-aller domestique sera donc perçu par beaucoup de femmes, non pas de façon objective, mais comme une atteinte à leur image propre, à leur identité, et elles seront plus enclines à y remédier. Les schèmes qui structurent l'habitus sont donc intériorisés non pas comme des modèles explicites mais sur un mode intuitif, global, pratique et extrêmement malléable: ainsi, le schème intérieur/extérieur se retrouve «appliqué» spontanément à la différence biologique de sexes, le sexe féminin étant perçu comme «intérieur» et le masculin comme «extérieur»; et de façon aussi englobante, le corps féminin devra être soigné, lavé, «propre» comme un intérieur (domestique) féminin, alors que les hommes seront généralement moins enclins à se préoccuper de leur hygiène «intime».

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