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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film:
Les Évadés - The Shawshank Redemption
de Frank Darabont
USA, 1994, 2h22

Le dossier consacré au film Les Évadés s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront ce film avec leurs élèves (entre treize et seize ans environ). Il propose une réflexion générale sur les prisons ainsi qu'une analyse du film. L'extrait ci-dessous est tiré de cette analyse.

Des détails porteurs de sens

Souvent, les détails qui frappent sont remarquables parce qu'ils signifient «plus qu'eux-mêmes». Le spectateur y voit un supplément de sens. Jake, l'oiseau de Brooks est un indice que pas mal de temps a passé entre l'arrivée d'Andy à Shawshank et son affectation à la bibliothèque. Si nous sommes frappés par la présence de cet oiseau dans la bibliothèque, c'est moins parce que le fait lui-même est étonnant que parce que nous n'avons pas vu le temps passer.

Pourtant, pour ce qui nous concerne, il ne nous semble pas que cette seule impression que le temps a passé recouvre tout à fait notre surprise. La vision de Jake adulte trompe une autre de nos attentes. L'oisillon faible que Brooks a élevé avec beaucoup de tendresse est devenu un corbeau, c'est-à-dire un oiseau de taille, noir, au cri désagréable, finalement un animal assez peu sympathique. La surprise du temps passé se double donc d'une déception mal définie. On a failli s'attendrir sur un petit oiseau sans défense et on retrouve un animal déplaisant. Outre l'écart de temps entre les deux Jake, il y a aussi un écart dans nos représentations. On est désabusé.

On peut alors faire le parallèle entre l'oiseau et les prisonniers. Comme l'aspect et le cri de Jake étaient inscrits dans ses gênes dès sa naissance, peut-être que les malfaiteurs, les criminels et les assassins sont destinés à «faire le mal», de toutes façons? Mais même si c'était le cas, peut-être est-il possible de les apprivoiser, de les rendre inoffensifs, comme Jake?

On pourrait analyser de la sorte bon nombre d'éléments du film. Mais avant d'en venir à quelques exemples, nous voudrions suggérer quelques pistes pour aborder ce type d'analyse avec les élèves.

Demandons-leur quels détails du film les a frappés. Dressons un inventaire de ces détails marquants. Pour chacun d'eux, tâchons de déterminer quel «supplément de sens» il porte. Les élèves pourraient travailler individuellement ou en groupe sur le détail qui a le plus retenu leur attention.

Pourquoi ce détail m'a-t-il frappé particulièrement?

Cette petite recherche peut-être prolongée de différentes façons. Chaque groupe ou chaque élève peut faire un bref compte-rendu de manière à mettre en commun les nouveaux éléments de sens qui seraient apparus. Dans ce cas, peut-être quelques thèmes vont-ils se dégager? Les détails pourraient alors constituer le point de départ d'une analyse du film centrée sur quelques thèmes. L'analyse d'un détail peut aussi faire l'objet d'un travail écrit et individuel.

Thème: Pas de passé

Détail: «A Shawshank, tout le monde est innocent»

Lors de leur premier échange, Red demande à Andy pourquoi il a tué sa femme. A quoi Andy répond qu'il est innocent. Red s'en amuse et déclare qu'à Shawshank, tout le monde est innocent. Cette boutade qu'Andy resservira lui-même à Tommy bien des années plus tard signifie que la majorité des prisonniers sont des menteurs. Mais cette déclaration sert aussi à mettre tout le monde à égalité. Finalement, le passé de chacun n'a aucune importance. Lorsqu'on est enfermé pour une très longue durée dans une prison où la dignité est bafouée, où tous les prisonniers sont à égalité de mauvais traitements (au moins au départ), c'est comme si l'on repartait à zéro. Pour nous-mêmes spectateurs, le passé d'Andy, la question de son innocence ou de sa culpabilité qui s'est posée au début du film deviennent très vite accessoires. Il faut donc élargir le sens du mot, passer du contexte judiciaire où «innocent» signifie non-coupable au sens général du terme: pur et naïf, comme l'enfant qui vient de naître, qui n'a encore rien vécu. Cette idée que l'on commence une nouvelle vie en entrant en prison est confirmée par Red: on l'entend en voix off dire que l'on entre nu (sans défense) en prison, sur les images des nouveaux détenus qui passent à la douche, au traitement anti-poux et gagnent leur cellule, nus, sous le regard de tous.

Détail: «Pourquoi t'appelle-t-on Red?»

De la même façon, quand Andy demande à Red pourquoi on l'appelle ainsi, celui-ci répond «Peut-être parce que je suis Irlandais» . Cette explication n'en est pas une. (Beaucoup d'Irlandais sont roux. Pour ceux-là, le surnom «Red» (rouge ou roux) s'impose, mais pas pour Red bien sûr qui n'est ni Irlandais, ni roux, puisqu'il est noir!) La réponse de Red, qui laisse Andy déconcerté, n'est qu'un «Qu'est-ce que ça peut faire?» déguisé, comme si les raisons pour lesquelles on lui a attribué ce surnom dans le passé n'avaient plus cours dans le contexte de la prison [1]. (On n'obtiendra une réponse «valable» à cette question qu'à la fin du film où l'on apprendra que le nom de famille de Red est simplement Redding.)

Thème: Pas d'identité

Détail: «Comment s'appelait-il?»

Le groupe d'arrivants dont Andy fait partie fait l'objet d'un pari parmi les anciens de Shawshank: lequel de ces nouveaux craquera le premier? L'un d'entre eux en effet sera pris d'une crise la première nuit et sera battu à mort par Hadley. Le lendemain, à la nouvelle de ce décès, Andy demande comment il s'appelait. Heywood, qui a gagné le pari, est embarrassé par la question et demande, fâché, ce que ça peut bien lui faire.

Comme si l'homme sans nom n'était personne, son anonymat rend sans doute sa mort plus supportable. Andy, le nouveau, est le seul à s'enquérir de son identité: c'est une forme de respect posthume de la personne, de ce qu'il était. Mais entrer en prison, c'est commencer une nouvelle vie, ou plutôt abandonner l'ancienne, et vouloir connaître le nom de celui qui est mort à peine arrivé est aussi absurde que d'en donner un à un enfant mort-né. Quand on entre en prison, on n'est plus personne.

Ce thème de la perte d'identité se retrouve d'une manière moins directe dans deux autres détails qui dénoncent le fait que les prisonniers représentent pour l'administration pénitentiaire une valeur marchande.

Détail: le programme «Intérieur-Extérieur»

En 1963, Norton, le directeur de Shawshank instaure un nouveau programme selon lequel les prisonniers vont effectuer des travaux (d'utilité publique?) à l'extérieur de la prison. De louables intentions sont certainement avancées pour défendre ce projet (préparer la réinsertion des détenus, les rendre utiles à la société, leur apprendre la valeur du travail, faire faire des économies au contribuable) mais l'objectif caché de cette opération n'est guère aussi respectable. L'administration pénitentiaire devient entrepreneur et s'introduit sur des marchés avec une main-d'oeuvre quasiment gratuite, menaçant les emplois de la région. Elle peut ainsi s'enrichir et encaisser des pots-de-vin que les entreprises locales lui versent pour qu'elle renonce à certains marchés.

L'écart entre l'objectif affiché (le bien des détenus) et l'objectif caché de ce programme (leur exploitation) est bien révélateur du désintérêt total de l'administration pour les prisonniers en tant qu'êtres humains. L'ascension d'Andy au sein de la prison traduit la même chose.

Détail: les «promotions» d'Andy Dufresne

A son arrivée à Shawshank, Andy est affecté à la blanchisserie, un travail dur dans un environnement propice aux agressions. Suite au service rendu à Hadley, Andy est libéré de son travail à la blanchisserie et devient l'assistant de Brooks à la bibliothèque où il pourra délivrer ses conseils en matière de fisc et de placements. En même temps, on lui adjoint une équipe qui l'aidera à remplir les déclarations de revenus du personnel pénitentiaire. C'est aussi à cette époque que sa protection sera assurée par l'éloignement forcé de Bogs et des ses comparses, les «soeurs». Cette ascension culminera avec sa mise au service de Norton, le directeur, pour qui il assurera la comptabilité de la prison.

Ces promotions et faveurs qui sont accordées à Andy correspondent à la volonté de l'administration pénitentiaire d'exploiter au mieux les compétences de ce détenu hors du commun. Il ne s'agit en aucun cas de récompenser un prisonnier méritant et docile mais bien de tirer profit de lui. La preuve en est fournie lorsque Tommy Williams apporte son témoignage qui pourrait susciter une révision du procès d'Andy. Quand Andy demande à Norton d'intervenir en sa faveur, le directeur lui refuse tout net. Andy, conscient qu'il représente un danger pour Norton puisqu'il connaît toutes les affaires de corruption dans lesquelles Norton est impliqué, lui promet de se taire. Pour avoir évoqué tout haut des affaires qui se traitent tout bas, Andy est envoyé au cachot. Pour empêcher la libération de ce détenu à la fois précieux et dangereux, Norton fait assassiner le témoin gênant. Quand le directeur annonce la nouvelle de la mort de Tommy à Andy, il lui fait comprendre qu'il doit son régime de faveur aux services qu'il rend. S'il refuse de continuer à assurer la comptabilité de la prison, il lui faudra craindre le pire.

Ainsi, la prison use de son pouvoir pour se servir des prisonniers. Elle en fait des marchandises, des esclaves, d'autant plus facilement qu'elle a les moyens de ne jamais les laisser sortir.

[...]


L'analyse que nous venons de proposer ne se prétend bien sûr pas exhaustive. Bien d'autres éléments du film peuvent être interprétés qui servent les thèmes que l'on a dégagés ou d'autres. On pourrait par exemple voir dans la scène de l'attentat de Brooks contre Heywood un argument en faveur de la prévention ou au moins d'un traitement approprié et personnalisé des «malfaiteurs». En effet, alors que Brooks menace de trancher la gorge de Heywood, Andy et Red interviennent pour l'en dissuader. Quand Andy cherche à réconforter Brooks et à comprendre ce qui l'a poussé à ce geste, Heywood se plaint que l'on ne s'occupe pas de lui, la victime. On sent très bien dans cette scène que s'il ne faut pas minimiser les dommages causés à la victime («Tu t'es déjà coupé plus fort en te rasant!»), c'est surtout l'agresseur qui a besoin d'aide. Son geste n'était pas gratuit mais traduisait une détresse profonde. On pourrait inférer de cette scène que beaucoup de crimes pourraient être évités si l'on accordait plus d'attention à ceux qui les commettent, s'ils étaient mieux compris, rassurés. De la même façon, les délinquants ne devraient pas qu'être punis mais aussi écoutés. Ils ont probablement davantage besoin d'aide que de leçons.

Du sens naît ainsi «entre» le film et le spectateur. Aussi, nous insistons sur l'importance de la mise en commun des découvertes des élèves, issues de l'interrogation de leurs propres réactions au film. Mises ensemble, elles contribueront à une meilleure compréhension du film par tous qui ajoutera encore, nous l'espérons, au plaisir de la seule histoire.


[1]. Le lecteur de la nouvelle de Stephen King interprète différemment cette réponse de Red et son sourire : comme un clin d'oeil. En effet, dans l'oeuvre originale, Red est effectivement Irlandais (et roux).


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