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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
La Forteresse suspendue
de Roger Cantin
Canada (Québec), 2001, 1h30

Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du primaire qui verront le film La Forteresse suspendue avec leurs élèves (entre neuf et onze ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en oeuvre en classe après la vision du film.

La forteresse suspendue et la spirale de la violence

Le film de Roger Cantin, La Forteresse suspendue, raconte l'histoire de deux groupes d'enfants qui vont faire l'expérience de l'affrontement et du combat dans une lutte qui prendra peu à peu une tournure dramatique: une telle expérience ne se résume sans doute pas à une simple leçon de morale mais marque les individus au plus profond d'eux-mêmes, même si l'issue de toute cette histoire se révèle finalement heureuse. Pour le spectateur qui partage imaginairement les émotions des personnages, les impressions ressenties restent cependant en partie confuses, implicites et sans doute moins marquantes que s'il avait réellement vécu une histoire similaire à celle mise en scène dans le film. Le cinéma nous donne ainsi une «leçon de vie» sur un mode imaginaire qui nous épargne (heureusement!) de vraies souffrances mais dont l'empreinte reste le plus souvent[1] moins profonde que celle d'une expérience réelle.

Dans une perspective pédagogique, il est donc intéressant de revenir sur les impressions ressenties par les jeunes spectateurs, d'essayer d'expliciter le sens d'une expérience qui aura été éprouvée de façon confuse, et enfin de relier cette expérience à des situations proches de leur propre vie. Sans réduire le film à sa leçon morale (clairement pacifiste), l'on visera plutôt à prolonger l'expérience du film en la comparant à des situations similaires proches mais également éloignées (dans le temps ou l'espace) de celles que connaissent les enfants.

Objectifs

  • Analyser comment, dans La Forteresse suspendue, une rivalité entre enfants débouche sur un conflit de plus en plus dramatique
  • Comparer cette situation fictive à des situations réelles, vécues par les participants ou bien connues des enfants (à travers les médias)

Méthode

  • Discussion dirigée suivie d'une discussion libre

Déroulement et commentaire

L'animation s'appuiera d'abord sur les souvenirs que le film aura laissés aux enfants. Après un premier échange sur le film et les appréciations de chacun, l'enseignant pourrait débuter par une question simple:

Comment les enfants des deux campings en sont-ils arrivés à cet affrontement de plus en plus dramatique qui a failli finalement coûter la vie à deux d'entre eux?

Il s'agira donc pour les participants de rechercher les causes de cet affrontement mais également d'en décrire les différentes étapes et éventuellement les enchaînements. L'exercice peut s'apparenter à un résumé aussi complet que possible, mais l'enseignant essayera de regrouper au tableau les informations recueillies en formant de grands ensembles qui mettront en évidence les différents facteurs et causes de l'enchaînement dramatique dans La Forteresse suspendue.

On pourrait ainsi regrouper les différents événements de cette histoire en quatre grands ensembles (d'autres regroupements sont sans doute possibles).

Le film débute par un combat entre deux groupes d'enfants très contrastés puisque les uns sont déguisés en conquistadores et les autres en Amérindiens. Autrement dit, c'est l'existence préalable de groupes différents qui rend possibles la lutte et la compétition: sans le sentiment d'appartenance à un groupe, les enfants n'auraient pas de raison de se combattre ni d'affronter des «ennemis» avec qui ils n'ont pas (sauf exception) de relation personnelle.

Après leur défaite, certains membres du groupe des «conquistadores» remarquent d'ailleurs l'absurdité de ce conflit et expriment leur souhait d'abandonner la lutte: ce sont des parents qui vont alors les pousser à poursuivre le combat d'une part en soulignant toutes les différences qui sont censées exister entre les deux campings, et d'autre part en invoquant une «histoire» que les enfants sont pratiquement obligés de reprendre à leur compte. Cette appartenance à un groupe est donc très importante et différencie notamment cette lutte d'une querelle personnelle qui n'engage que des individus isolés: ici, les participants ne choisissent pas leur camp, sauf à se séparer de leur groupe, et «luttent» non pas pour eux-mêmes mais pour «l'honneur» de leur camp.

L'appartenance à un groupe est donc en partie subie, héritée même dans certains cas, mais elle également voulue, assumée par les membres, comme c'est le cas pour les enfants, dans La Forteresse suspendue, qui se déguisent soit en conquistadores soit en Amérindiens pour se distinguer clairement et symboliquement de leurs adversaires.

Dans ce film, la différence entre les deux groupes repose cependant sur une deuxième dimension très évidente: le territoire. C'est sans doute la dimension la plus visible puisque les enfants séjournent dans deux campings différents, séparés par un lac. L'aspect historique des costumes que se sont choisis les deux groupes est encore une fois très symbolique puisque les conquistadores venaient de «l'Ancien Monde» alors que les Amérindiens étaient les populations autochtones[2] du «Nouveau Monde». L'éloignement géographique séparait alors les conquistadores des Amérindiens comme le lac sépare aujourd'hui les habitants des deux campings. Ainsi, les deux groupes s'affrontent pour ce qui leur apparaît sans aucun doute comme la défense de «leur territoire» ou au contraire la possession d'un nouveau territoire.

Ce territoire aux limites assez floues va en outre être marqué par un lieu privilégié, la fameuse forteresse suspendue, cachée au milieu des bois: cet endroit permet évidemment au groupe de se réunir, à l'exclusion d'ailleurs des adultes, ce qui renforcera sans doute sa cohésion. Mais surtout, il a été conçu comme un système de défense, particulièrement sophistiqué (on se souvient des nombreux pièges dont il dispose), et deviendra de ce fait la cible des «attaques» de leurs adversaires. Sans être la «cause» du conflit entre les deux groupes, la forteresse apparaît comme un enjeu décisif, un endroit «à prendre» par tous les moyens: c'est pour y parvenir que le groupe des «conquistadores» va inventer des «armes» de plus en plus sophistiquées (et de plus en plus farfelues).

On remarquera encore à propos de cette notion de «territoire» que les «conquistadores» possèdent eux aussi un refuge, même s'il n'a pas de fonction défensive comme la forteresse suspendue. En revanche, son intérieur avec notamment les portraits des grands conquistadores révèle la dimension symbolique de ce lieu: on accumule dans cette cabane des symboles, objets «précieux» et «sacrés» qui permettent de manifester l'unité du groupe. On y trouve également une espèce de trône réservé au chef, révélant ainsi la hiérarchie et le pouvoir qui organise le groupe.

Le «territoire» n'est sans doute pas la cause de la guerre, mais c'est évidemment l'espace où elle se déploie. L'existence d'une «forteresse», bien que sa vocation soit d'abord défensive, va en outre donner un but précis, localisé, au camp adverse dont le seul objectif sera alors de prendre cet ouvrage.

Le conflit qui oppose les deux groupes se présente au début du film comme un jeu d'enfants sans conséquence mais il prend rapidement une tournure de plus en plus grave et finalement dramatique. On peut ainsi distinguer plusieurs étapes dans ce qu'on pourrait appeler, de façon un peu exagérée, la «spirale de la violence»:

  • après leur première défaite, les «conquistadores» introduisent dans les caravanes de leurs parents des animaux plus ou moins dégoûtants afin de provoquer des réactions de colère chez les adultes (à l'encontre des coupables supposés, ceux du camping «d'en-face»);
  • toujours défaits, les «conquistadores» rompent la trêve pendant la partie de pêche et espionnent leurs adversaires jusqu'à découvrir leur repaire secret;
  • après un premier échec dans l'assaut contre la forteresse suspendue, les «conquistadores» inventent une «arme infernale» qui se retourne cependant contre eux;
  • après ce nouvel échec, certains membres des «conquistadores» changent de costume et se déguisent en commandos contemporains; ainsi camouflés, ils feront un prisonnier qu'ils vont «torturer» jusqu'à ce qu'il «avoue» quelque chose;
  • enfin, ils vont s'en prendre à Sarah, considérée comme une traître, et à son «amoureux» Julien, le chef de la bande des «Amérindiens».

Il y a donc un enchaînement de circonstances qui explique en partie que ce qui n'était qu'un jeu se transforme rapidement en affrontement de plus en plus haineux. On peut remarquer à ce propos que, si le groupe des «conquistadores» est en grande partie à l'origine de cette escalade, il s'agit essentiellement d'une réaction face aux échecs répétés. Constamment défaits, de plus en plus humiliés, certains «conquistadores» en viennent à outrepasser les règles du combat et à rechercher des tactiques nouvelles, plus violentes, pour s'assurer la victoire.

D'ailleurs, si la victoire soude le clan des «Amérindiens», la défaite rompt l'unité des «conquistadores»: plusieurs d'entre eux sont prêts à abandonner le combat et s'engagent dans des activités plus pacifiques comme l'élevage des papillons. Ce sont les chefs et leurs proches qui, finalement, changent de stratégie et décident de recourir à des ruses tout à fait nouvelles: ils vont alors chercher leur inspiration dans un autre univers «mythologique», celui des commandos des armées contemporaines.

Si l'appartenance à un groupe, l'existence de territoires différents sont les conditions du conflit, et si l'enchaînement des circonstances explique la tournure dramatique que prend ce jeu d'enfants, il faut également tenir compte d'autres facteurs qui ont une fonction modératrice. On pense bien sûr aux arbitres qui, dans La Forteresse suspendue, doivent faire respecter les règles du combat, qui interdisent notamment le recours à des armes trop dangereuses ou trop dégoûtantes (les sangsues, les oeufs). Le film montre cependant la difficulté de faire respecter ces règles, notamment lorsque les arbitres doivent faire face à de nouvelles «armes».

Si les arbitres sont pratiquement impuissants devant l'escalade de la «violence», c'est la réaction des enfants et des parents face à la tournure dramatique des événements qui mettra enfin un terme à cette escalade: chacun se rend compte des conséquences catastrophiques d'un conflit dont personne n'avait mesuré l'ampleur. La forêt brûle, les enfants risquent leur vie, ces événements dramatiques révélant le caractère dérisoire des enjeux du conflit.

Enfin, l'amour (entre Sarah et Julien) constitue bien sûr le plus sûr remède à la guerre!


Cliquez sur l'image pour l'agrandir.


[1] Le cinéma, par sa faculté à nous plonger dans un univers imaginaire mais perçu comme réel (même si nous savons intellectuellement qu'il s'agit toujours d'une fiction), peut être vécu comme une expérience de vie profondément marquante sinon traumatisante, surtout par les jeunes spectateurs qui peuvent y découvrir des univers inconnus, des émotions extrêmes et rarement ressenties, des événements exceptionnels et particulièrement «forts». Nombre de cinéphiles expliquent ainsi la fascination qu'ils éprouvent pour certains films par le fait qu'ils leur ont appris littéralement à vivre, autrement dit qu'ils leur ont révélé des aspects de la vie qu'eux-mêmes n'avaient jamais encore vécus.

[2] On sait que les «Indiens» d'Amérique ne se sont jamais appelés ainsi et qu'il s'agit d'une dénomination erronée due aux navigateurs européens pensant arriver en Inde. Pour éviter cette confusion, on utilise aujourd'hui souvent le nom d'Amérindiens qui n'est cependant pas beaucoup plus satisfaisant : au Québec, l'on préfère l'expression de populations ou de nations autochtones (aux États-Unis, l'on parle de «Native Americans»).


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