Medias
Journal & grilles Appli mobile Newsletters Galeries photos
Medias
Journal des Grignoux en PDF + archives Chargez notre appli mobile S’inscrire à nos newsletters Nos galeries photos
Fermer la page

Documents complémentaires au dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Rosetta
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Belgique, 1999, 1h31

Le document proposé ici est destiné à accompagner le dossier pédagogique réalisé par les Grignoux et consacré au film Rosetta.

Observer

Face à un film comme Rosetta qui peut déconcerter de jeunes spectateurs habitués à d'autres styles de cinéma (par exemple hollywoodien), il est sans doute intéressant de favoriser une vision active chez les élèves, mais, plutôt que de donner des consignes générales, l'enseignant ou l'animateur aura sans doute avantage à assigner à chacun des participants un travail précis, différent de celui de ses condisciples et dont il aura à rendre compte personnellement devant l'ensemble du groupe. On trouvera donc ci-dessous une vingtaine de consignes d'observation qui seront réparties individuellement (si le groupe est supérieur à ce nombre, certaines consignes pourront être remises à deux élèves plutôt qu'à un seul, mais on veillera à ce que ceux-ci l'ignorent afin que chaque spectateur se sente personnellement impliqué dans la tâche).

Certaines de ces consignes sont sans doute plus difficiles que d'autres à observer (il s'agit notamment des consignes 4, 12, 13, 14, 15, 18, 19) : ce seront évidemment celles-là qui seront distribuées éventuellement à plusieurs élèves. L'enseignant peut également donner aux élèves concernés quelques précisions ou explications quant à la consigne. Enfin, comme lui-même ne pourra pas observer toutes les consignes (à moins de voir le film plusieurs fois), il en retiendra une comme n'importe quel participant. Ainsi, lors des discussions après la projection, son rôle sera sans doute beaucoup plus proche de celui des élèves, chacun apportant aux autres ce qu'il aura personnellement observé.

On espère, par ce jeu de consignes, favoriser une participation active des spectateurs à la projection. Ces consignes vont en effet les obliger à suspendre (au moins temporairement) leurs jugements de valeur spontanés qui sont souvent extrêmement sommaires («C'est génial» ou «C'est merdique») et à observer de manière beaucoup plus attentive comment le film est construit. Leur attention devrait en particulier être orientée vers des éléments filmiques qui passent habituellement inaperçus.

Toutes les observations recueillies lors de la projection seront donc réutilisées lors d'un échange après la projection. Il est vraisemblable par ailleurs que certaines des observations vont se recouper même si les consignes de départ étaient différentes. Mais cela ne nuira nullement à la richesse des discussions.

Une consigne par spectateur

1. Essayez d'observer où se place le plus fréquemment la caméra par rapport à Rosetta. Devant elle, derrière, à côté ? Notez l'endroit où elle se trouve le plus fréquemment ainsi qu'une séquence où elle occupe une position différente.

2. Rosetta donne l'impression de courir ou de s'agiter tout le temps. Les moments de pause, d'arrêt en sont d'autant plus remarquables : essayez de repérer les séquences où l'on ressent un tel changement de rythme.

3. La caméra est-elle loin ou proche de Rosetta ? Voit-on le plus souvent Rosetta en gros plan (le visage et le dessus des épaules), à mi-corps, en entier ou encore perdue au milieu du paysage ? Si Rosetta est le plus souvent filmée de la même manière, observez au moins une scène où elle est filmée de façon différente.

4. Souvent la caméra nous montre Rosetta en train d'agir sans que nous comprenions très bien ce qu'elle est en train de faire. Bien sûr, la suite du film nous éclaire plus tard sur son geste. Notez toutes ces scènes un peu étranges ou ambiguës, même si elle sont très courtes et si nous devinons très rapidement le sens du geste de Rosetta.

5. Rosetta manipule à plusieurs reprises de l'argent. Repérez toutes ces scènes en essayant de décrire le plus exactement possible ses gestes ainsi que le contexte où ils apparaissent. Observez également les scènes où d'autres personnes que Rosetta manipulent de l'argent.

6. À plusieurs reprises, Rosetta est amenée à porter des objets particulièrement lourds. Notez toutes les scènes où on la voit dans une telle attitude. Précisez les circonstances de ces différentes scènes.

7. Rosetta donne son nom au film. Ce nom apparaît cependant plusieurs fois dans le film. Essayez de repérer toutes ces apparitions, que son nom soit prononcé, écrit sur un papier, à peine visible ou audible. Précisez les circonstances.

8. Rosetta parle peu et observe beaucoup. Notez toutes les scènes où on la voit en train d'épier, de guetter, d'observer quelque chose ou quelqu'un. Précisez également les circonstances de ces différentes scènes.

9. Rosetta se bat plusieurs fois dans le film. Observez ces différentes scènes et essayez de préciser chaque fois avec qui Rosetta se bat, pourquoi elle se bat, à la suite de quels événements elle se batŠ

10. Rosetta a plusieurs fois mal au ventre sans qu'on nous explique clairement de quoi elle souffre. On pourrait croire qu'il s'agit d'un détail sans importance, mais l'on comprend rapidement que ces malaises surviennent dans certaines circonstances précises et sont plus ou moins clairement associés à certains événements. Pouvez-vous noter ces différentes scènes et les circonstances où elles apparaissent ? Essayez également de comprendre quel est, dans ces différents contextes, le sens de cette douleur.

11. On entend à plusieurs reprises la respiration de Rosetta comme si elle était tout juste à côté de nous. Notez toutes ces scènes où la respiration de Rosetta se fait entendre toute proche.

12. Les réalisateurs, Luc et Jean-Pierre Dardenne, ont une manière très particulière de passer d'une scène à l'autre, d'une séquence à l'autre. Ils nous montrent quelque chose, Rosetta en train de faire ceci ou cela, et tout d'un coup, on passe à autre chose : le changement est presque chaque fois brutal, souvent inattendu. Bien entendu, ces changements sont rapidement oubliés par les spectateurs mais ils contribuent à donner un rythme rapide au film. Essayez donc d'observer le plus précisément possible comment s'opèrent deux ou trois de ces changements de scène. Y avait-il du mouvement à la scène précédente ? Ce mouvement se continue-t-il dans la scène suivante mais peut-être dans une direction différente ? L'inactivité succède-t-elle à l'agitation ? Le mouvement succède-t-il au mouvement au point qu'on a d'abord l'impression qu'il s'agit de la même scène qui se continue ?

13. Pouvez-vous être attentif à quelque chose qu'on remarque à peine : le son. Rosetta semble avoir été pris sur le vif, mais, en réalité, les réalisateurs, Luc et Jean-Pierre Dardenne, ont été particulièrement attentifs à la bande-son qui est très travaillée et qui se signale notamment par des contrastes d'intensité (le bruit et le silence alternent souvent de manière brutale). Essayez de repérer quelques moments où il y a un tel travail sur la bande-son, où l'on entend des contrastes voulus, où une voix ou un bruit est mis de façon remarquable en évidence.

14. Les réalisateurs de Rosetta filment souvent leur héroïne de manière très particulière : ils nous montrent son visage de manière appuyée, comme s'ils la fixaient du regard, alors qu'on s'attendrait à ce que la caméra nous montre ce qui se passe autour d'elle. Pouvez-vous noter ces moments où on voit longuement Rosetta de face ou de profil (pas de dos !) ? Essayez également de préciser les circonstances de ces plans appuyés ainsi que les sentiments ou les idées que l'on peut deviner sur son visage.

15. Dans un film, il y a généralement énormément de plans, c'est-à-dire que la caméra filme pendant quelques secondes un personnage, puis il y a une coupure instantanée et la caméra nous montre autre chose, un autre personnage, un objet, un paysageŠ Et la caméra passe ainsi continuellement d'un point de vue à l'autre. Parfois cependant , la caméra peut filmer toute une scène d'une seule «traite», sans discontinuité, elle peut bouger avec le personnage, le suivre dans tous ses mouvements, éventuellement se tourner ou se déplacer pour montrer son interlocuteur mais sans qu'il y ait de rupture, de saut dans l'image, de changement instantané du point de vue de la caméra : c'est ce qu'on appelle un plan-séquence puisque la caméra a dû filmer toute la scène sans arrêt, sans discontinuité. Un plan-séquence est difficile à réaliser parce que les acteurs doivent jouer longtemps seuls, agir, parler, bouger pendant un long moment sans se tromper, en respectant toutes les consignes du réalisateur. Mais, comme la caméra reste plus longtemps avec les personnages, le plan-séquence a souvent l'air plus vrai, plus authentique qu'une suite de plans très découpée. Il y a dans Rosetta des plans-séquences remarquables où la caméra suit sans cesse Rosetta, nous fait partager sans coupure, avec intensité, toute son action, tous ses efforts, tout son acharnement à vivre : pouvez-vous en repérer quelques-uns ?

16. Dans Rosetta, un certain nombre de scènes semblent se répéter sous une forme légèrement différente : repérez ces scènes où l'on a l'impression de revoir la même action, mais avec d'autres personnages, dans d'autres circonstances, avec des modifications plus ou moins importantes mais qui n'empêchent pas de reconnaître une séquence antérieure.

17. Rosetta est pauvre, très pauvre même : elle change cependant à plusieurs reprises d'habillement, ce qui est particulièrement significatif. Pouvez-vous repérer ces changements et de préciser le sens de ces changements ?

18. Au cinéma, on ne fait pas très attention aux bruits : ce qui compte généralement, c'est l'image, ce sont les parolesŠ Pourtant, dans Rosetta, les réalisateurs accordent une place particulière aux bruits : s'ils ont l'air pris sur le vif, ils sont pourtant accentués de manière à en privilégier certains, à suggérer certaines ambiances, à faire ressortir certains détails sonores. À vous de faire attention à ce qu'on ne remarque jamais ! Essayez de repérer les différentes ambiances sonores ainsi que l'utilisation remarquable de certains bruits volontairement isolés dans le décor.

19. Un des grands procédés pour donner du rythme à un film consiste à faire surgir un événement inattendu, à créer la surprise en détournant le cours de l'action en train de se dérouler. Le film des frères Dardenne, qui semble suivre Rosetta sans intervenir, est en fait très construit, et on constate à plusieurs reprises que certaines scènes sont ainsi détournées de leur cours normal de manière à surprendre (relativement) le spectateur. Repérez ces différentes scènes qu'un élément inattendu vient perturber en déjouant les attentes du spectateur.

20. Les frères Dardenne, réalisateurs de Rosetta, ont une manière très particulière de jouer avec la tension que peuvent ressentir les spectateurs à certains moments : la scène peut durer anormalement longtemps, on éprouve une gêne, un malaise, on voudrait que l'action ou les événements en cours s'arrêtent, s'interrompent enfinŠ ce qui arrive nécessairement et nous permet d'éprouver une espèce de soulagement. Soyez donc attentif à vos propres impressions, à vos émotions et essayez de repérer ces moments où l'on ressent une tension intérieure. Notez aussi comment les réalisateurs parviennent à mettre fin à ces séquences plus ou moins tendues.

Réflexions

Ces différentes consignes, comme on le voit, ne se situent pas toutes au même niveau : certaines portent sur des éléments directement observables dialogues, gestes, regards, musique, lumière , d'autres impliquent déjà une interprétation plus ou moins importante repérage d'un moment décisif, sens caché d'un dialogue, comparaison du jeu de deux acteurs , et enfin certaines impliquent des appréciations largement subjectives une utilisation originale des lieux, les émotions éprouvées comme spectateur, la perception de la présence de la caméra. Cela explique que les résultats des différentes observations puissent se croiser sur certains points, et des participants compléter (ou contredire) les remarques d'autres spectateurs.

Une telle diversité d'approches est nécessaire pour rendre compte de la structure multiforme d'un film : il n'y a pas en effet dans un film «un niveau de base» (comme la phrase dans un texte écrit) à partir duquel on (re)contruirait sa structure d'ensemble à la façon d'un mur fait de briques élémentaires. La compréhension filmique «navigue» au contraire entre différents niveaux, du plus «bas» au plus «élevé», du plus «simple» au plus «complexe» (ou inversement), et un détail un geste, une couleur, un regard peut être parfaitement signifiant ou au contraire insignifiant : cela dépend du contexte où il apparaît, et des autres éléments filmiques avec lesquels il peut être mis en relation.

Il n'y a donc pas de «niveau» ou de «point de vue» privilégié dans un film, et il faut au contraire amener les spectateurs plus ou moins compétents, plus ou moins cinéphiles à prendre en considération toute sortes d'éléments qu'ils peuvent spontanément négliger. Mais il est tout à fait absurde de croire que l'on puisse déterminer a priori les «éléments du langage cinématographique» qui vont se révéler à pertinents à l'analyse.

En revanche, il paraît important de faire prendre conscience aux spectateurs de la différence entre trois procédures fondamentales dans la réception filmique, à savoir la description, l'interprétation et le jugement.

Décrire / Interpréter / Juger

Cette distinction est d'ordre méthodologique. Elle permet de distinguer des étapes dans la réflexion ou l'analyse d'un film, mais ce sont les mêmes éléments du film qui feront l'objet d'une description, d'une interprétation ou d'un jugement.

Par rapport à l'objet dans notre cas, le film , la description est nécessairement partielle: dans une perspective pédagogique, il est alors intéressant d'attirer l'attention des jeunes spectateurs sur des éléments qu'ils ont pu négliger ou oublier.

L'interprétation consiste à donner un sens aux éléments observés; elle est nécessairement hypothétique puisqu'elle consiste à élaborer des relations entre des éléments d'observation (ces éléments appartiennent pour une part au film, mais certains peuvent lui être extérieurs, par exemple des déclarations du cinéaste).

Le jugement consiste à porter une évaluation qui peut être de nature esthétique mais aussi morale (notamment sur les personnages), philosophique, politique ou de simple plaisir. Ces jugements ont un fondement irréductiblement subjectif, même s'il est possible d'argumenter en leur faveur si l'on explicite les critères ou les échelles d'évaluation sur lesquels on entend s'appuyer.


A. Décrire

Quels sont les éléments de description possible d'un film? Même si ces éléments sont en nombre indéfini (sinon infini), on peut tracer les grands axes d'observation suivants:

Les éléments du «langage» cinématographique
Le plan
  • l'échelle des plans: plan d'ensemble, plan moyen, plan américain, gros plan
  • l'angle de prise de vue: horizontal (= non marqué), plongée, contre-plongée, angle oblique (les bords supérieurs de l'image ne correspondent pas à l'horizontale)
  • la composition du plan: le cadre, la position des personnages
  • le «hors-champ»: au cinéma, le «hors-champ» a une présence dynamique puisqu'il est toujours susceptible de faire irruption dans le champ (exemple type: le gros plan sur la victime apeurée laisse deviner la présence d'une menace située «hors-champ»)
  • la profondeur de champ: la mise au point peut se faire sur une zone plus ou moins grande du champ: l'image pourra alors être nette dans une zone étroite, par exemple à l'avant-plan, tandis que le reste de l'image, l'arrière-plan, sera flou; en modifiant la mise au point, l'opérateur peut alors rendre l'avant-plan flou et l'arrière-plan net; enfin, en jouant sur l'ouverture de l'obturateur de la caméra, il peut agrandir (ou au contraire rétrécir) la profondeur de champ, c'est-à-dire la zone de netteté qui, dans certains cas, pourra s'étendre de l'avant à l'arrière-plan.
Les mouvements de caméra
  • panoramique: la caméra tourne sur son axe vertical (de gauche à droite, ou inversement) ou horizontal (de haut en bas ou inversement).
  • travelling: la caméra se déplace sur un chariot d'avant en arrière, ou inversement, latéralement, ou dans tout autre combinaison de mouvement.
  • zoom: le zoom est un dispositif optique (également disponible sur les appareils photos) qui permet d'agrandir plus ou moins rapidement le centre de l'image (ou de la rétrécir); il est difficile de distinguer, pour un non-professionnel le zoom avant (ou arrière) d'un travelling avant (ou arrière): le zoom produit un simple agrandissement du centre de l'image alors que le travelling, qui suppose un déplacement de la caméra, entraîne une transformation générale de la perspective.
  • la «steadicam»: il s'agit d'un harnais porté par l'opérateur et sur lequel est disposé la caméra: grâce à un système de contrepoids, ce dispositif donne une grande liberté de mouvement à l'opérateur, tout en diminuant les soubresauts qui caractérisent une caméra portée à l'épaule; la «steadicam», beaucoup utilisée depuis les années 80, permet notamment d'accompagner les personnages dans les scènes d'action et donne ainsi une impression de participation subjective.
La lumière, la couleur...
  • Différents concepts sont utilisés pour décrire la lumière, en particulier l'opposition entre lumière focalisée (issue d'un projecteur ou du soleil) et lumière diffusée (par les nuages ou par des diffuseurs), ainsi que la notion de contraste plus ou moins accentué.
  • Les notions de saturation (c'est-à-dire une couleur pure sans mélange de gris) et de désaturation (une couleur qui tend vers le gris) et celle de dominante colorée sont les plus fréquemment utilisées pour décrire les couleurs.
  • Ces notions peuvent décrire le style général d'un film (par exemple, les films «noirs» américains sont caractérisés par de forts contrastes d'ombre et de lumière) ou des éléments (scènes, séquences) limités d'un film : un objet coloré peut ainsi atttirer l'attention dans un univers par ailleurs «grisâtre».

Le montage
  • Les raccords entre plans sont le plus souvent «secs» (on parle de «cut» ou «coupe franche»), c'est-à-dire que les plans sont collés l'un après l'autre sans transition; mais il existe des transitions «marquées» comme le fondu enchaîné, le fondu au noir, le fondu à l'ouverture, le passage au noir. Ces raccords obéissent en général à des «règles» de réalisation (règles des 30°, des 180°, raccord de regard, raccord de mouvement) destinées à éviter de donner au spectateur l'impression d'un hiatus, d'une saute, d'une discordance entre plans successifs: de ce fait, le montage devient «invisible» ou, en tout cas, peu perceptible.
  • Le montage peut être très fragmenté (avec des plans très courts) ou non (avec des plans plus longs qui peuvent aller jusqu'au plan-séquence).
  • Le montage respecte très généralement la chronologie des événements mis en scène, mais il se caractérise pratiquement toujours par des ellipses temporelles plus ou moins marquées.
  • Les exceptions au montage chronologique sont les retours en arrière («flash-back») et les projections vers le futur («flash forward»), les plans imaginaires (rêves, hallucinations d'un personnage) ainsi que le montage parallèle de deux séries d'événements qui se déroulent à des époques différentes ou bien en même temps; dans ce dernier cas, il est souvent difficile de distinguer le montage parallèle de ce qu'on appelle le montage alterné (les plans des poursuivis et des poursuivants se succèdent-ils ou bien se déroulent-ils en même temps?).
  • Le montage peut être qualifié de «fluide» (les plans se succèdent sans produire d'effet sensible) ou, au contraire, de «contrasté» (le plan suivant produit un effet de rupture, de surprise, d'inattendu, de contraste).
  • Le mouvement: le cinéma est un art du mouvement, mouvement dans le plan ou entre les plans, mais il y a peu d'instruments pour analyser le «mouvement» d'un film. On oppose cependant couramment des films «dynamiques» et des films «statiques»: cette impression résulte d'une interaction complexe entre de nombreux éléments, les mouvements de caméra (ci-dessus), la mise en scène des personnages (voir ci-dessous), le montage, l'utilisation des lieux, les déplacements entre les lieux, l'interaction entre les gestes et les paroles Il est donc intéressant de s'interroger de façon plus précise sur les éléments qui produisent l'impression de dynamisme ou au contraire de statisme.
La bande-son

Les éléments de la bande-son se distinguent par leur nature: paroles / musiques / bruits

Michel Chion (dans L'audio-vision) propose en outre de distinguer les sons «visibles» (dont la source est visible à l'écran), les sons «hors-champ» (qu'on entend mais dont la source est hors du champ de la caméra) et les sons «off» (qui appartiennent à un autre espace-temps que l'action mise en scène: c'est la voix off d'un narrateur extérieur, c'est également la musique d'accompagnement qui ne vient de «nulle part» et que les personnages, contrairement au spectateur, ne semblent pas entendre). Ces frontières ne sont pas étanches, et un son peut passer du «off» au «in» (visible ou hors-champ), ou du «hors-champ» au «visible», et inversement.

Michel Chion insiste également sur l'effet «acousmatique», c'est-à-dire la «puissance» d'un son, d'une voix dont on ne voit pas encore l'origine: on a facilement l'impression d'une toute-puissance de cette voix ou de ce son sans «figure» précise.

La mise en scène

Le travail du cinéaste est avant tout un travail de mise en scène: comment mettre les personnages face à la caméra? comment les faire interagir, se déplacer les uns avec les autres? comment utiliser le décor, les objets? Il n'existe pas actuellement de concepts ou de «grilles» d'observation: celle-ci doit donc se faire empiriquement.

Le travail des acteurs: attitudes, gestes, déplacements, manière de parler

L'opposition la plus couramment employée est celle entre un jeu «naturel» et un jeu «artificiel» (qualifié notamment de caricatural, d'expressif, de «théâtral»). Les attitudes corporelles sont pourtant le résultat d'une socialisation précoce et ne sont donc jamais totalement «naturelles»: l'éloignement (historique ou social) fait apparaître le caractère «artificiel» du jeu des acteurs français de l'entre-deux-guerres ou aujourd'hui du parler «jeune» des banlieues.

Néanmoins, contrairement au jeu «marqué» ou «artificiel», le «naturel» semble généralement très difficile à décrire: une des voies les plus «productives», consiste alors à comparer deux acteurs dans le même film, entre qui des différences, même minimes, deviendront perceptibles. On peut également demander aux participants d'essayer de rejouer une scène puis de la comparer avec celle effectivement réalisée (si l'on dispose d'un lecteur vidéo ou DVD).

Le récit

Les outils développés par la narratologie s'appliquent facilement au cinéma. Néanmoins, plutôt que d'appliquer des schémas prédéfinis du récit (par exemple en cinq étapes canoniques), il est intéressant de construire avec les jeunes participants une représentation graphique synthétique du film vu, en se basant essentiellement sur les souvenirs des spectateurs: on procédera non pas par étapes (du début à la fin), mais en prenant immédiatement une vue d'ensemble du film et du récit qui s'y développe. À partir de ce point de vue «surplombant», on pourra:

  • soit découper le film en «blocs» ( en fonction de critères de temps, de lieux, de personnages)
  • soit reconstituer le «mouvement» d'ensemble du film (schéma orienté)
Les personnages

Les personnages ne se réduisent pas au rôle qu'ils jouent dans le récit (par exemple, policier ­ bandit); ils ont de nombreuses autres caractéristiques qu'il peut être intéressant de relever. Il s'agira d'attitudes, de comportements, de manières de parler, mais aussi de traits psychologiques ou sociaux. Ces caractéristiques peuvent être plus ou moins superficielles (manières de s'habiller, de se coiffer) ou profondes (traits de caractère).

Il est également souvent pertinent d'observer l'évolution d'un personnage au cours du film, dans toutes ses manières d'être et d'agir.

Les relations entre personnages, si elles relèvent souvent du récit, peuvent également être observées pour elles-mêmes: sont-ce des relations d'amitié, de défiance, de querelle, d'indifférence, etc.? Les gestes par exemple les regards «disent»-ils la même chose que les paroles?

(Dans la description des personnages, il est souvent difficile de faire la part du travail de l'acteur et celle du scénario, mais ce partage n'est pas indispensable.)

Les décors

Les décors, souvent négligés, peuvent prendre un relief particulier dans certains films, par exemple les films de science-fiction qui «inventent» tout un monde futur.

Les détails «insignifiants»

Le récit cinématographique est construit sur une dynamique qui nous oblige à nous souvenir de certains éléments du film - tel personnage est l'enquêteur, tel autre est un suspect qui a fait ceci et cela - et à en négliger d'autres - la couleur de la robe de l'héroïne, le détail des paroles échangées dont nous ne conservons que le sens général -. Mais l'art du cinéma consiste notamment à donner de l'importance à certains de ces détails: il s'agit d'inverser les hiérarchies apparentes, l'accessoire devenant alors essentiel.

Ces détails peuvent être mis en évidence par différents procédés. L'un des plus courants est la répétition, la reprise d'un même élément du film à deux ou plusieurs moments du film: la répétition n'est cependant jamais totale et s'accompagne toujours de différences plus ou moins importantes.

Les thèmes du film

Il peut être intéressant de donner aux jeunes spectateurs une consigne d'observation basée sur un des thèmes du film, thème repéré préalablement par l'enseignant ou l'animateur (par exemple: l'éventuelle violence du film, l'«étrangeté» d'un personnage, ). Ce thème se traduira alors par de multiples éléments du film qui peuvent être de nature différente (par exemple des paroles ou des comportements, des points de vue originaux de la caméra ou encore l'utilisation d'une musique particulière).

Les sentiments éprouvés par le spectateur

On éprouve des sentiments, mais on les observe rarement en tant que tels; et, dans le domaine cinématographique, les sentiments sont souvent compris comme un effet secondaire du film, comme une conséquence de la vision et non comme un élément même du film; en outre, ils varient souvent grandement selon les spectateurs. Il s'agit là pourtant d'une composante essentielle du spectacle cinématographique, et il est souvent très intéressant de réfléchir aux émotions ou sentiments que l'on a pu ressentir au cours de la projection: on remarque ainsi que les films se caractérisent souvent par une tonalité dominante (dramatique, comique, sentimentale, héroïque, parodique), même si l'on observe aussi de façon plus détaillée que chaque film joue en général sur une gamme plus ou moins élargie d'émotions (d'une séquence à l'autre, on passe par exemple facilement du rire aux larmes).

D'autres éléments

Il n'est pas possible, comme on l'a dit de déterminer a priori les éléments à observer dans n'importe quel film. Ceux-ci sont en nombre indéfini. Il n'est pas non plus possible de définir a priori les éléments pertinents (notamment dans la longue liste qui précède): selon le film, certaines consignes risquent de se révéler décevantes ou au contraire fructueuses. C'est donc l'enseignant ou l'animateur qui devra préalablement essayer de déterminer, grâce à une ou plusieurs visions préalables, les consignes les plus pertinentes.

Cela explique donc que dans l'abord d'un film comme Rosetta, l'on préfère élaborer des consignes d'observation particulières plutôt que de recourir à des consignes générales d'observation («observer la position de la caméra») qui se révèleront très souvent peu pertinentes.


B. Interpréter

Les moyens d'interprétation

Pour interpréter un film et en particulier les différents éléments observés lors de la projection, le spectateur doit recourir à trois grands systèmes d'interprétation:

Les codes

Pour comprendre un film en japonais, je dois connaître le japonais ou être capable de lire les sous-titres français Pour comprendre une enquête policière, je dois connaître les fonctions de juge d'instruction, de policier, éventuellement d'enquêteur privé

Si certains domaines de la vie sociale sont fortement codifiés (comme la circulation automobile réglée par le code de la route), les «codifications» dans la vie courante sont souvent beaucoup plus floues et incertaines: les choix dans l'habillement sont à la fois marqués socialement (selon la différence des sexes, par les effets de mode, selon l'âge, etc.) mais également laissés à une large appréciation individuelle.

Le «langage cinématographique», quant à lui, ne fait l'objet d'aucune codification similaire à celle de la langue régie par les règles grammaticales, phonétiques, etc.

L'interprétation de la plupart des éléments filmiques n'obéit donc pas à des «règles» ni n'est soumise à un «code» univoque.

Les savoirs

Pour interpréter un film, nous devons recourir à une multitude de savoirs qui concernent l'ensemble de la vie sociale. Si, dans un récit policier, l'on nous montre muettement un homme en imperméable et avec un chapeau mou photographier le lieu d'un crime, ramasser des poussières ou des menus objets, prendre des mesures, nous résumons aussitôt ces gestes comme une prise d'indices policière grâce à notre connaissance du «métier» de détective (souvent acquise par d'autres films ou d'autres livres), même si ces gestes ne sont pas explicitement reliés entre eux. C'est au niveau des savoirs que se marquent de nombreuses différences entre spectateurs notamment entre jeunes et adultes.

Les savoirs sont sans doute «codifiés», mais ils ne «fonctionnent» pas à la manière d'un code: je peux comparer le comportement du héros à celui de personnages du même type par exemple à ce que je sais du métier de détective s'il est détective , mais cela ne signifie pas que le personnage doit se comporter selon ce modèle, ni que je doive interpréter uniquement en fonction de ce modèle. Les savoirs sont multiples, et je peux donc recourir à un grand nombre d'entre eux pour interpréter le même élément (par exemple un comportement).

Les inférences

Les inférences désignent toutes les formes de raisonnement par lesquelles on passe d'une vérité à une autre en vertu d'un lien supposé entre elles. Les inférences peuvent être logiques comme dans un raisonnement déductif («Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, etc.»), mais, au cinéma, il s'agit bien plus souvent d'opérations semi-logiques basées sur la généralisation (parfois abusive), l'analogie, la supposition vraisemblable: si, dans un plan, je vois une personne en train de regarder un objet hors champ et qu'au plan suivant, on me montre un objet de manière plus ou moins marquée, je suppose «naturellement» qu'il s'agit de l'objet regardé par le personnage du premier plan. Mais la supposition pourrait être fausse, et le cinéaste chercher à me leurrer.

Semblablement, si j'entends une musique d'ambiance mélancolique sur l'image d'un personnage sans expression, je conclurai que son humeur est mélancolique: l'inférence basée sur une analogie (entre la musique et l'humeur) n'a rien de «logique», mais est évidemment très fréquemment pratiquée au cinéma.

L'interprétation filmique procède sans doute le plus fréquemment par une combinaison complexe d'inférences, de savoirs et plus rarement de codes, mais est de ce fait nécessairement hasardeuse et hypothétique dans la mesure ou d'autres combinaisons sont certainement possibles.

Les axes d'interprétation

Pour interpréter un élément filmique, le spectateur peut procéder selon trois grands axes: son interprétation critique s'appuiera soit sur d'autres éléments du film, soit sur les intentions supposées de l'auteur du film , soit enfin sur les effets que cet élément est censé produire sur le spectateur.

Le contexte du film

Ce que nous voyons, ce que nous entendons au cinéma n'existe pas de façon isolée: nous tissons immédiatement des relations entre les différents éléments du film, bien que ces relations ne soient pas données en tant que telles dans le film. Je comprends grâce, par exemple, à un fondu enchaîné que le film procède à un retour en arrière, même si celui-ci ne m'est pas signalé en tant que tel: différents indices dans les événements mis en scène me confirmeront d'ailleurs qu'il s'agit bien d'un retour vers le passé et non pas d'un rêve ou d'un fantasme qui aurait pu être annoncé par le même fondu enchaîné.

Ainsi, l'on interprète généralement les caractéristiques «formelles» d'un film en fonction de leur rôle par rapport à son «propos» ou son «contenu»: une contre-plongée va «magnifier» un personnage important ou au contraire souligner la suffisance d'un personnage ridicule...

De façon plus fondamentale, on remarquera à ce propos que l'observation des caractéristiques «formelles» n'est pas en soi suffisante et qu'elle suppose toujours une interprétation de leur sens: si, dans un film caractérisé par l'abondance des plans d'ensemble ou des plans américains, j'observe quelques rares gros plans, ceux-ci me paraîtront nécessairement «significatifs», mettant en évidence par exemple les émotions d'un personnage ou des détails importants qui sans cela seraient négligés.

C'est particulièrement vrai en situation scolaire ou d'animation où les (jeunes) spectateurs ne manqueront pas de s'interroger (ou d'interroger leur professeur) sur le sens des caractéristiques formelles qu'on leur fait observer: oui, il y a un plan-séquence, mais qu'est-ce que cela «apporte» au film? Est-ce que le film aurait «vraiment» été différent avec un montage plus découpé?

L'auteur du film

L'analyse des éléments formels suscite cependant presque immanquablement une interrogation quant aux intentions de l'auteur du film, car c'est lui en définitive le responsable (supposé) de ces différents choix. Si, à une époque où le cinéma est massivement en couleurs, un cinéaste décide de réaliser son film en noir et blanc, j'aurai en tant que spectateur tendance à m'interroger sur ce qui m'apparaîtra comme un choix singulier. On remarquera cependant que l'auteur n'apparaît pas (sauf exceptions rarissimes) en tant que tel dans son film (on ne considère ici que le cinéma de fiction): il s'agit donc là d'un niveau d'interprétation implicite et hypothétique, même si des informations extérieures par exemple des interviews me permettront en partie de confirmer ou même d'élaborer ces hypothèses d'interprétation.

De fait, on constate que les interprétations critiques à ce niveau peuvent être tout à fait contradictoires: ainsi, quand Jean-Luc Godard réalise son premier long métrage À bout de souffle en 1960, certains verront dans les faux raccords qui abondent dans ce film le signe de l'amateurisme de Godard qui ne connaîtrait pas les «règles» élémentaires du montage, tandis que d'autres analyseront ces mêmes éléments comme l'expression de la «modernité» du cinéaste, de sa volonté de rompre avec le «cinéma de papa» lisse et sans aspérités.

La réflexion sur les intentions de l'auteur (généralement le cinéaste) ne concerne cependant pas uniquement les choix formels mais également le «sens» du film: si je m'interroge sur la signification sociale, psychologique, politique, humaine d'un film, je «dépasse» évidemment l'histoire racontée, telle que les personnages notamment sont censés la vivre, et je vise une signification beaucoup plus large que l'auteur est supposé avoir traduit ou exprimé à travers cette histoire particulière.

L'effet sur les spectateurs

Le cinéaste s'adresse à un public, qu'il soit très large ou au contraire très restreint. Il veut sans doute le distraire, l'informer, le faire rêver, l'émouvoir, le faire réfléchir, le «secouer», l'interpeller, le provoquer, l'étonner, le séduireOn peut donc supposer que les différents éléments du film concourent à produire un effet sur le spectateur. Dans un film d'horreur par exemple, le gros plan sur le visage de la victime en train de hurler de peur va accentuer notre propre effroi en laissant hors champ une menace que nous ne pouvons pas identifier et que nous percevons de ce fait comme d'autant plus grande.

On se méfiera cependant d'analyses théoriques, faites en chambre, qui supposent un spectateur «idéal», qui réagirait de manière univoque et mécanique au travail de mise en scène du cinéaste: ainsi, même dans le cas du film d'horreur cité à l'instant, certains spectateurs pourront réagir par le rire, car le procédé est trop facile à repérer, ou bien par le mépris parce qu'ils n'aiment pas ce genre de film qui vise les émotions les plus primaires de l'individu.

En situation d'animation, il est certainement intéressant de demander aux (jeunes) spectateurs d'exprimer leurs réactions personnelles sur ce qu'ils ont ressenti lors de la projection: cela peut même constituer une bonne base de départ pour «remonter» vers les éléments qui peuvent expliquer ces réactions, notamment si elles se révèlent diverses et contrastées (dans ce cas, on procède donc «à rebours», de l'interprétation vers l'observation).

Comme pour les autres axes d'interprétation, celui-ci ne concerne pas uniquement les éléments «formels», et les «thèmes», le «contenu» du film doivent également se comprendre en relation avec les spectateurs qu'il vise: un film de fiction peut certes vouloir distraire, mais il peut également argumenter, plaider, vouloir faire réfléchir même si c'est à travers l'histoire particulière, individuelle, qu'il met en scène.

Cinéma et réalité

À ces trois axes principaux, il faut cependant ajouter une «quatrième dimension», à savoir la réalité évoquée par le film. Un film de fiction comporte nécessairement une part d'imaginaire, d'invention, de mise en scène artificielle (les acteurs jouent évidemment un rôle), mais cela ne signifie pas qu'il n'ait aucun rapport avec la réalité: au contraire, c'est en jouant sur notre connaissance de la réalité qu'un film pourra apparaître comme fantastique (parce qu'il déroge à certaines «lois» du monde réel), comique, absurde, stylisé, ou au contraire «réaliste».

Mais ce rapport entre film et réalité est nécessairement indirect dans la mesure où la fiction s'interpose entre le film et la réalité à laquelle il se réfère: nous savons tous que madame Bovary n'existe pas même si, par généralisation, l'on peut penser que ce type de provinciale à l'esprit romanesque a pu exister dans la France du 19e siècle (et peut-être même aujourd'hui encore).

Par ailleurs, la réalité est «brute», soumise à des interprétations multiples et souvent contradictoires selon les individus: pour le spectateur, la «réalité» constitue donc moins un axe d'interprétation qu'une référence générale par rapport à laquelle il interprétera certains éléments du film. Ainsi, il pourra comparer le comportement de certains personnages mis en scène avec ce qu'il sait des individus placés réellement dans la même situation, ce qui lui permettra alors d'affirmer que ce comportement est vraisemblable, réaliste, ou au contraire invraisemblable ou extravagant.

La «réalité» est donc une espèce d'arrière-fond par rapport aux trois grands axes d'interprétation que l'on a décrits précédemment: à travers son film, le cinéaste parle sans doute de la réalité, il cherche en outre à faire partager au spectateur son point de vue sur la réalité (par exemple en suscitant son indignation), et le film lui-même ne peut pas se comprendre sans une référence implicite à la réalité (ne serait-ce que pour distinguer ce qui appartient et ce qui n'appartient pas à la fiction). Mais la réalité en elle-même n'est pas porteuse de signification.

On présentera schématiquement cette situation de la manière suivante:

Entre observation et interprétation

On a vu la complexité du processus d'interprétation: celle-ci ne procède pas en général selon le modèle trop simple du dictionnaire ou du code de la route où chaque signe mot, panneau routier est associé de façon mécanique et linéaire à une signification ou un ensemble limité de significations. Dans un film, un même élément peut avoir plusieurs significations selon le contexte où il apparaît, et son interprétation peut se faire selon des directions très différentes et relier entre eux de façon complexe de multiples éléments de nature très différente.

Ainsi, lorsqu'on observe le travail de mise en scène du cinéaste, il est pratiquement impossible de l'interpréter sans tenir compte de l'histoire mise en scène, mais également du caractère des personnages et des relations censées exister entre eux, autant d'éléments qui à leur tour sont l'objet de multiples interprétations. De ce fait, l'observation ne peut jamais se limiter à un seul aspect du film par exemple, les éléments du «langage cinématographique» et doit tenir compte, pour l'interprétation, des autres dimensions filmiques.

De façon générale, les catégories de la description ne seront donc pas nécessairement celles de l'interprétation: l'interprétation sera «transversale», mêlant notamment thèmes, «contenus» et éléments formels.

Avec les jeunes spectateurs, le cheminement ne doit cependant pas obligatoirement partir de l'observation et peut procéder de manière inverse à partir d'une interprétation d'ensemble. Ainsi, si l'on est sensible à la dimension d'humour d'un film, cette interprétation générale permettra sans aucune doute d'analyser de multiples éléments, les gags bien sûr, mais également le langage des personnages, leurs attitudes, la construction du scénario, le travail de mise en scène autant d'éléments qui concourent de manière globale à produire l'effet en cause.


C. Juger

Toute appréciation filmique est fondamentalement subjective, et la meilleure des argumentations ne parviendra pas à convaincre un spectateur d'aimer quelque chose qui l'indiffère ou qu'il déteste.

Les limites de l'argumentation

Sur le plan argumentatif, il n'est d'ailleurs pas possible de démontrer qu'une oeuvre (cinématographique ou artistique) est en soi supérieure à une autre: en effet, toute argumentation dans le domaine des valeurs doit nécessairement postuler la légitimité de ses critères de jugement et elle ne peut pas les démontrer. Le démocrate pose que l'égalité entre les hommes est une valeur supérieure qui doit être à la base de l'organisation sociale, mais l'esclavagiste pourra tout aussi bien affirmer que l'inégalité des hommes est essentielle dans sa conception du monde: à un certain point de l'argumentation, il n'est plus possible de discuter quand les différences de valeur s'avèrent irréductibles.

L'enseignant est-il alors condamné à laisser les jeunes spectateurs s'enfermer dans leurs goûts spontanés au nom du libre choix de chacun? S'il n'est sans doute plus possible d'imposer aux adolescents d'aujourd'hui une échelle incontestable des oeuvres artistiques (comme l'école a pu le croire au 19e siècle), l'on peut cependant ouvrir avec eux ce que l'on appellera un «espace de dialogue démocratique». Dans un tel espace, chacun a sans doute le droit d'avoir son opinion (et d'éventuellement la conserver), mais le dialogue suppose une confrontation des opinions, entre adolescents mais aussi entre adolescents et adulte(s), entre personnes qui ont également une expérience, dans le domaine cinématographique (et plus largement artistique), très différente, plus ou moins riche ou au contraire plus ou moins sommaire.

En situation

Concrètement, l'enseignant ou l'animateur pourra orienter l'attention des jeunes spectateurs vers des éléments qu'ils auraient spontanément tendance à négliger. Il s'agira pour eux d'observer des «détails» que, sans cela, ils oublieraient facilement, mais également de s'interroger sur leur signification: ainsi, ce qui à première vue pouvait paraître «ennuyeux» ou «insignifiant» acquerra éventuellement une pertinence inédite.

À travers cette observation, on essaiera en outre de faire prendre conscience aux participants d'autres critères ou d'autres échelles d'évaluation que celles qu'ils utilisent spontanément: si, pour la majorité du public, le cinéma est essentiellement une industrie du loisir et du plaisir, certains films peuvent manifester d'autres ambitions, par exemple rendre compte d'une réalité douloureuse, faire partager une expérience humaine exceptionnelle ou simplement différente de celle qu'on connaît habituellement, et de telles ambitions contrediront le plaisir immédiat du spectateur qui pourra cependant tirer d'autres «bénéfices» de sa vision du film.

Bien entendu, dans cette perspective, la dimension esthétique du cinéma méritera d'être mise en évidence et expliquée par l'enseignant: le champ cinématographique a sans doute ses critères propres (bien qu'ils ne soient pas partagés par tous et qu'ils soient souvent difficilement objectivables), qui privilégient le travail de mise en scène, l'originalité dans l'utilisation des moyens techniques (caméras, enregistreurs, bancs de montage), ainsi que l'ensemble des aspects habituellement considérés comme «formels».

On remarquera que, dans le domaine cinématographique, toutes les échelles d'évaluation, en dehors du plaisir immédiat du spectateur, supposent que l'on prenne en considération le point de vue de l'auteur du film (qui est généralement le cinéaste): l'originalité esthétique ne peut pas apparaître si l'on se situe seulement au niveau de l'histoire racontée; la «leçon» d'un film qu'elle soit de nature sociale, politique, philosophique, humaine ou autre impose au spectateur une réflexion sur les intentions de l'auteur, sur ce qu'il a voulu «dire», transmettre ou exprimer à travers son film; et, de manière générale, tout ce qui contrevient au plaisir immédiat du spectateur ne peut s'expliquer ou se justifier que par les intentions que l'on peut prêter à celui qui a fait le film et qui en est responsable au sens le plus fort du terme.

Bien entendu, le «sens» que l'auteur est supposé donner à son film est toujours une reconstruction en partie hypothétique, mais susciter l'interrogation des jeunes spectateurs à ce niveau de réflexion est sans doute une étape indispensable pour qu'ils en viennent progressivement à considérer d'autres critères ou d'autres échelles d'évaluation dans leur abord des oeuvres cinématographiques.

Dans une telle perspective, le rôle de l'enseignant ou de l'animateur sera sans doute moins de «défendre» un point de vue par exemple celui des revues de cinéma les plus prestigieuses que d'exposer les arguments sur lesquels se fondent les jugements critiques informés. Il veillera également à laisser s'exprimer les avis contradictoires parmi les participants: c'est souvent à travers les opinions d'autres adolescents de leur âge que les jeunes spectateurs peuvent prendre conscience des limites parfois étroites de leur propre point de vue.


Tous les dossiers - Choisir un autre dossier